C’est une décision qui fait grand bruit dans les couloirs feutrés de la justice sénégalaise, et qui prend à contre-pied les pronostics les plus prudents. Le président du Collège des juges d’instruction financiers a rendu son verdict : Farba Ngom restera en détention. Sa demande de liberté provisoire, formulée pour raisons médicales, a été sèchement rejetée, au grand étonnement de nombreux observateurs.
Député sortant, maire des Agnam, pilier de l’Alliance pour la République (APR) et proche de l’ancien président Macky Sall, Farba Ngom est incarcéré à la prison de Rebeuss depuis février dernier. Il fait l’objet d’un mandat de dépôt dans le cadre d’une enquête d’envergure pour malversations financières présumées dépassant 125 milliards de francs CFA, révélées par un rapport accablant de la CENTIF (Cellule nationale de traitement des informations financières).
Une décision en contradiction avec un avis médical catégorique
Ce qui choque dans cette affaire, c’est que la demande de libération provisoire reposait sur un avis médical formel et sans équivoque. Le professeur Alassane Mbaye, cardiologue de renom, avait clairement établi que l’état de santé de Farba Ngom est « incompatible avec la vie carcérale ».
Malgré cela, le magistrat instructeur a préféré s’aligner sur la position du procureur, qui s’était opposé à la mise en liberté du détenu. Les raisons précises ayant motivé ce rejet ne sont pas encore rendues publiques. Mais cette décision, pour beaucoup, soulève une question de fond : la justice peut-elle ignorer un avis médical aussi sérieux au nom de la rigueur procédurale ?
Un virage judiciaire symbolique ?
Depuis l’alternance politique de 2024, marquée par l’arrivée d’un nouveau pouvoir, plusieurs anciens hauts responsables du régime de Macky Sall sont visés par des poursuites. L’affaire Farba Ngom s’inscrit dans cette vague de procédures que d’aucuns qualifient de « purge judiciaire », tandis que d’autres y voient un assainissement nécessaire de la vie publique.
Le refus de sa liberté provisoire peut dès lors être interprété comme un signal fort : la justice sénégalaise semble vouloir rompre avec une ère d’impunité, même si cela implique de maintenir en détention une figure de premier plan de l’ancien pouvoir.
Une affaire aux nombreuses zones d’ombre
Le juge a parlé, Farba Ngom reste en prison. Mais les interrogations, elles, persistent. Pourquoi écarter un avis médical émis par une sommité ? L’indépendance de la justice est-elle réellement à l’œuvre, ou certains craignent-ils un précédent qui affaiblirait l’élan de reddition des comptes promis par le nouveau régime ?
Au-delà du cas Farba Ngom, c’est toute la crédibilité de la justice sénégalaise qui se joue dans ce dossier emblématique. Entre impératifs judiciaires, respect des droits humains et recomposition politique, le Sénégal entre dans une période de tension où chaque décision judiciaire prend une portée politique majeure.