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Algerie Abderrahmane Benbouzid. Ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière : «Nous sommes loin des scénarios apocalyptiques»

Le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, revient sur l’évolution de la situation et confirme sa stabilisation, considérant notamment cela comme le résultat du confinement, de la distanciation sociale et de toutes les mesures prises, à l’instar de la fermeture des écoles, de la suspension des transports publics et de la fermeture des marchés et centres commerciaux. Le ministre aborde la question de la fiabilité des chiffres et explique la différence entre le nombre de personnes déclarées atteintes du Covid-19 et celles soumises au protocole de traitement à la chloroquine.

– La wilaya de Blida boucle cette semaine un mois de confinement. Quelle évaluation faites-vous de l’épidémie dans cette région et au niveau national ?

Actuellement, la situation se stabilise et certains indicateurs nous laissent optimistes. Mais cela n’écarte pas notre détermination à continuer à lutter contre cette pandémie et à être vigilants.

La wilaya de Blida a été la première localité touchée par cette épidémie. Si on peut considérer qu’une maladie, quelle qu’elle soit, a une vie – soit une date de naissance et une date de décès – on peut considérer que Blida a précédé, il est donc clair que les résultats que nous obtiendrons seront considérés en fonction de ce qu’on va trouver à Blida.

La situation semble s’apaiser dans cette wilaya avec de bons de résultats grâce aux efforts des citoyens, au confinement et aux équipes médicales qui sont sur place depuis le début de l’épidémie, et les chiffres qu’ils nous communiquent sont rassurants. Les malades mis sous traitement à l’hydroxychloroquine ont bien évolué et les résultats sont satisfaisants. Actuellement, le nombre de contaminés au Covid-19 à Blida a atteint 628 cas cumulés, dont 13 nouveaux cas aujourd’hui (vendredi, ndlr).

Au niveau national, la situation est aussi stable avec des chiffres qui ont beaucoup baissé ces derniers jours. Mais avec la multiplication des centres de dépistage, on risque d’avoir plus de cas positifs dans les jours à venir. Les tests PCR se font actuellement dans les plusieurs régions du pays : Oran, Ouargla, Constantine et dans les hôpitaux à Alger et Tizi Ouzou.

Nous allons nous retrouver dans les chiffres internationaux, c’est-à-dire plus de sujets positifs et un nombre relativement bas de décès. On considère donc que la situation est globalement stable et Blida souffle. Nous sommes optimistes et, actuellement, nous ne sommes plus dans la situation connue au début. Nos hôpitaux ne sont plus surchargés et nous nous améliorons tous les jours.

Nous sommes loin des scénarios apocalyptiques, selon les prévisions de certains, grâce à notre engagement dans la lutte contre ce virus et à la prise de conscience des citoyens.

Justement, les chiffres annoncés par la commission scientifique de suivi de l’évolution du Covid-19 semblent en deçà de la réalité…

Dans tous les pays du monde, les chiffres avancés ne reflètent pas la réalité. Beaucoup de sujets sont sains et l’ignorent. Ces chiffres ne sont que le reflet du nombre de tests effectués au départ, notamment par l’Institut Pasteur d’Algérie.

Effectivement, lorsqu’il y a moins de tests, il y a moins de cas… Au début, nous faisions près de 200 tests par jour, aujourd’hui un peu plus, avec l’ouverture d’annexes de l’Institut Pasteur dans plusieurs wilayas et d’autres laboratoires. Nous venons de recevoir la dernière commande de 15 000 kits qui seront distribués à travers la PCH.

Mais je dois dire que chez nous on ne peut pas faire un dépistage de masse sur 40 à 45 millions d’Algériens et c’est le cas de nombreux pays qui ne peuvent pas le faire, même les plus développés. Il est impossible de dépister toute une population d’une localité. Le dépistage est effectué pour les sujets contacts de cas de Covid-19 et ceux qui viennent consulter avec des troubles respiratoires répondant au tableau clinique du Covid.

– Le nombre de décès semble élevé comparativement aux autres pays. Pourquoi d’après vous ?

Actuellement, nous enregistrons moins de 20 décès par jour. Au début, le nombre de décès apparaissait effectivement très élevé, car nous avions comptabilisé l’ensemble des décès, même ceux survenus hors hôpital de mort naturelle. Ailleurs, ces derniers ne sont pas pris en considération. Je précise que parmi ces décès, il y en avait des personnes que nous avons identifiées Covid-19 après leur mort mais n’ont pas succombé à cette infection virale.

Il y a quelques cas qui sont décédés suite à un arrêt cardiaque, une défaillance viscérale ou autre cause et c’est un hasard qu’ils aient été porteurs du Covid-19. Tous ceux-là ont été ajoutés à la liste des décès par Covid. C’est ce qui explique qu’on se retrouve aujourd’hui avec ce chiffre qui dépasse les 300 décès.

– Dans le bilan quotidien, il ressort que le nombre de traités dépasse celui de cas cumulés testés positifs au Covid-19. Comment expliquez- vous cela ?

Le tableau fondamental de cette maladie est le tableau respiratoire. Au départ, on attendait les résultats de la PCR pour prendre la décision de traiter ou non, mais lorsqu’on n’a plus de tests, on a recours au scanner. Dès lors qu’un patient arrive même sans signes cliniques et s’il a été en contact avec un Covid, on fait un scanner car devant une forte présomption au Covid, on fait une imagerie à défaut de test.

On préfère démarrer le traitement que de laisser évoluer vers une forme grave, même si l’on n’a pas de certitude de la contamination. Il est vrai qu’on voit des images de pneumonie, mais il n’est pas dit que c’est le Covid-19. C’est pourquoi les cas diagnostiqués au scanner, qui n’est pas affirmatif, sont mis à part et ne peuvent être cumulés avec ceux diagnostiqué à la PCR, qui est l’examen le plus sûr.

– Pensez-vous que le confinement a eu un impact sur l’évolution de cette épidémie ?

Je suis profondément convaincu que le confinement a agi de manière considérable. Il y a aussi la distanciation sociale et toutes les mesures prises, notamment la fermeture des écoles, la suspension des transports publics et la fermeture des marchés et des supermarchés.

Le confinement prendra fin le 19 avril (aujourd’hui, ndlr) et je pense qu’il y aura une réponse d’ici là pour son maintien ou non. La décision ne m’appartient pas. De mon point de vue, les précautions sont toujours de mise, bien que la situation se stabilise, mais rien n’est encore gagné, car le virus est insaisissable et incontrôlable pour le moment. On ne dit pas que le pic est passé ou que la situation s’améliore et qu’il faut lâcher.

Chaque jour est une situation nouvelle. Il faut savoir que ce qui se passe chez nous ne peut pas être dissocié de ce qui se passe ailleurs. Nous ne voulons pas reproduire les erreurs des autres, mais nous voulons bien faire ce que les autres ont bien fait. Même si ailleurs, on amorce le début d’un déconfinement très hésitant, mais cela se fait avec beaucoup de prudence.

La prudence est de mise, d’autant que chez nous, il y a un élément particulier : c’est que dans quelques jours débutera le Ramadhan. Un mois durant lequel les familles se retrouvent et beaucoup veillent pendant de longues soirées. Pour moi, il serait plus prudent de maintenir le confinement tel qu’il est actuellement, puisque nous avons des résultats. Il serait imprudent de déconfiner et le comité scientifique ne le recommande pas.

– Pensez-vous que l’Algérie a pris les devants face à cette épidémie ?

C’est clair. Vous vous adressez à celui qui est mandaté et missionné pour cela. Il y a surtout la volonté de mettre tous les moyens nécessaires pour lutter contre cette épidémie, quel qu’en soit le prix. Des enveloppes ont été dégagées et je peux affirmer et réaffirmer que tous les moyens ont été mis à notre disposition.

Depuis le début de l’épidémie, plus de 20 millions de masques ont été importés et nous ne sommes pas en manque. 1200 respirateurs sont à la disposition des structures hospitalières et on pourrait aller jusqu’à 6000, mais pour le moment nous n’avons que 64 patients intubés, soit le tiers des lits de réanimation occupés, et 167 non intubés.

Nous sommes loin des prévisions de scénario à l’italienne, émises par certains spécialistes établis à l’étranger, au début de l’épidémie. Nous sommes loin de ces prévisions apocalyptiques grâce à la prise de conscience des citoyens et surtout à la distanciation sociale et au confinement, qui doit être respecté pour justement éviter tout risque. L’épidémie se stabilise, mais restons prudents.

– Le président de la République a annoncé une série de mesures lors de sa visite au CHU de Beni Messous, la semaine dernière, dont la suppression du service civil. Comment le gouvernement compte-t-il l’organiser ?

A la lumière de ce qui a été annoncé, on comprend que le président de la République a écouté la demande de beaucoup qui, depuis plus de trente ans, disent que le service civil est une mesure exceptionnelle – moi-même je l’avais écrit dans un papier – qui a trop duré. Cette mesure a montré ses limites et, sur le terrain, elle n’a pas abouti aux résultats souhaités, c’est-à-dire développer une médecine de qualité dans les régions.

Maintenant le service civil n’est plus obligatoire et le président de la République a bien signifié que tout médecin spécialiste qui souhaite travailler dans le Sud sera accompagné de mesures incitatives, notamment salariales, sociales et professionnelles. Avec toutes ces conditions, le médecin spécialiste s’engagera à travailler pour une période de cinq années dans les hôpitaux du sud du pays. Durant tout ce temps, il sera forcé de s’investir.

– La refonte du système de santé s’impose, d’après vous. Quelles sont les priorités ?

L’expertise de la refonte du système a été déjà faite par l’ensemble des citoyens. Je vous invite à aller du côté de la frontière algéro-tunisienne pour constater que des dizaines de milliers d’Algériens vont se faire soigner en Tunisie dans de grandes cliniques. Pourquoi ? La réponse est simple : ils ne trouvent pas ce dont ils ont besoin ici, en Algérie, notamment l’accueil, les conditions d’hospitalisation (pannes répétées des machines, etc.). Il s’agit d’un système qui a montré ses limites avec une gratuité de soins qui n’a pas reflété l’équité demandée.

Dans les établissements publics, ce sont parfois les nantis qui bénéficient de soins plus que les nécessiteux. Ce qui a perverti l’objet de la gratuité de soins qui était une mesure salutaire. De nombreux dysfonctionnements caractérisent ce secteur, accentués par la mauvaise répartition des ressources, etc. Nous allons donc procéder à une refonte globale de ce système. Il est temps de mettre en avant la performance, d’établir une compétitivité et d’encourager ceux qui travaillent.

– A travers le système de contractualisation ?

C’est exactement cela. Le salut est dans la contractualisation et je m’engage à le mettre en place pour assurer des soins de qualité. Sur le plan, par exemple, de la gratuité des soins, il faut mettre de l’ordre. Les personnes démunies sont à la charge de l’Etat et la loi les protège ; un assuré social ne pose pas problème puisqu’il contribue ; celui qui n’est ni assuré ni dans le besoin et a les moyens payera.

Pourquoi cette catégorie de personnes ne contribue pas à la Caisse de sécurité sociale et ne contracte pas une assurance, qu’elle soit privée ou publique ? Ce qui permettrait à l’hôpital de disposer d’une cagnotte pour assurer des soins. Un groupe de travail était déjà sur le dossier de la contractualisation, avant l’épidémie de Covid-19. J’ai l’appui du président de la République pour engager cette refonte, il l’a déclaré et veut que la médecine soit de qualité et que tout le monde contribue. Il est question surtout de mettre fin à tous les dysfonctionnements déjà cités, tels que la mauvaise répartition des ressources, l’engagement de budgets injustifiés, etc.

– Est-ce quees modifications seront apportées à la loi sur la santé ?

Effectivement, il y aura une modification de certains articles, notamment ceux relatifs au service civil et à l’Observatoire national de la santé. A la place, il est prévu la création de l’Agence nationale de sécurité sanitaire. Cette institution autonome sera placée sous l’autorité du chef de l’Etat et ses membres seront désignés par le président de la République. L’Agence veillera sur l’état de santé des citoyens ainsi que sur les moyens qui seront mis à sa disposition. Elle aura donc un rôle de lanceur d’alerte.

– Il est aussi question de la revalorisation du corps médical. Est-ce que le dossier des retraites et le statut des professeurs hospitalo-universitaires seront également revus ?

Je souligne que le président de la République a rappelé avec insistance l’intérêt qu’il attache au corps de la santé. Il estime que le corps de la santé mérite une amélioration des conditions salariales et, en contrepartie, une amélioration dans le travail. Pour l’activité hospitalo-universitaire, il faut effectivement que ces services retrouvent leur statut. Vous avez remarqué que dans plusieurs services, la majorité ne sont pas des hospitalo-universitaires.

Je tiens à souligner que je ne réduis nullement les compétences des personnels de «santé publique». Je rappelle que c’est une question de mission. Les médecins de santé publique sont aussi compétents que les hospitalo-universitaires, sauf que ces derniers ont un meilleur salaire que ceux de l’hôpital, car ils ont l’obligation d’encadrer.

Quant à la retraite, je rappelle qu’il s’agit d’un texte de loi qui régit cette catégorie du corps médical, où il est stipulé qu’on ne peut pas avoir un salaire de plus de 15 fois le Smig et la mise de fin de fonction à 75 ans. Cette mesure est gelée pour le moment, en attendant la révision du texte ou la possibilité de la réévaluation du Smig promise par le président de la République.

 

Avec Elwatan

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