La tension ne faiblit toujours pas dans la commune de Bokidiawé, au sujet du litige foncier opposant une partie de la population et l’équipe municipale. Les propriétaires terriens se sont radicalisés. Ils veulent récupérer leurs terres et n’excluent plus le sacrifice suprême pour avoir gain de cause.
La paisible commune de Bokidiawé est en train de voguer dans des eaux extrêmement troubles. Le projet de lotissement de 114 ha, déjà entamé par la mairie, est une pilule qui a du mal à passer, pour une frange de la population.
Les terres en question se trouvent entre le village de Mboloyel et la ville de Bokidiawé. Elles abritent déjà le nouveau lycée opérationnel depuis deux ans, l’Hôtel de ville en construction, ainsi que l’Eno (espace numérique ouvert), tous des édifices publics. N’empêche que les propriétaires sont catégoriques : ils veulent leurs terres.
Lundi dernier, les équipes de topographes envoyées par la mairie ont été tenues en respect. Les piquets qui avaient été plantés ont été violemment arrachés. Les forces des l’ordre, alertées par les autorités municipales, étaient venues remettre de l’ordre, mais c’était sans compter avec la farouche détermination des populations à empêcher le morcellement des terrains.
Un spectacle électrique s’en est suivi. Les éléments de la brigade de gendarmerie de Agnam ont dû faire recours aux gaz lacrymogènes pour disperser la foule en furie. Celleci a riposté par des jets de pierres. Une Intifada qui a duré plus d’un tour d’horloge. Le lendemain mardi, c’est devant la presse que les manifestants ont exprimé leur indignation.
“Nous sommes prêts à mourir’’
Vers 17 h, ils étaient déjà sur place. Majoritairement des personnes du 3e âge, ils ont arboré du rouge, avec des slogans très hostiles au maire et à ses proches collaborateurs. “Baba Diawara est un s…’’, “voleur’’, avaient entonné la masse.
Un jeune habitant de Mboloyel, un morceau de tissu sur la tête, est venu rouspéter contre le premier magistrat de la ville Khalilou Wagué.
“C’est terrible ce qui est en train de se passer à Bokidiawé. Tu sais quel âge a mon père ? 89 ans. Il est ici dans la foule pour empêcher la spoliation de ses terres. Si le maire avait un semblant d’humanité, il aurait fait machine arrière, en voyant cette image. Il doit un minimum de respect aux populations, notamment à ces vieux’’, a-t-il déclaré en furie.
En fait, les propriétaires regroupés en collectif dénoncent “l’attitude spectatrice’’ des autorités administratives. Malick Diaw, qui portait leur parole, a d’abord rappelé les faits qui ont conduit à la radicalisation des propriétaires.
“Nous tenons à informer l’opinion nationale et internationale, et surtout le président de la République de la situation très grave qui prévaut à Bokidiawé et qui a déjà entrainé des affrontements avec les forces de l’ordre et les autorités municipales. En effet, le maire décide unilatéralement, sans concertation, ni information, de procéder à un lotissement de 100 hectares, privant plus d’une quarantaine de familles de leurs terres’’.
Yaya Sarre menacé d’être brûlé vif
Le jeune homme de poursuivre : “Mettre à la disposition du maire plus de 1 000 parcelles à usage d’habitation dont les populations ne sont même pas demandeurs, est un scandale. La procédure de lotissement est foncièrement irrégulière, puisqu’on note une absence d’enquête de la commission domaniale. Il n’y a eu aucune rencontre formelle entre les autorités municipales et les vrais propriétaires. Il n’y a eu aucune proposition écrite d’indemnisation des impactés. Nous tenons à témoin les autorités administratives locales, notamment le sous-préfet, le préfet de Matam et le gouverneur du refus catégorique que nous avons toujours opposé à cette procédure de lotissement, en atteste les nombreuses missives de protestation et d’information adressées.’’
Le porte-parole annonce qu’une plainte a été déposée au tribunal de Matam, sans suite. “Il y a une lettre adressée au gouverneur à la date du 19 mars 2019 ; une autre lettre a été adressée au sous-préfet de Ogo à la date du 27 août 2020 ; une autre lettre à la date du 31 août 2021 a été adressée au chef de l’État. Malgré toutes ces démarches, grande a été notre surprise de voir une équipe de topographes sur les sites, à quelques mois des élections. Nous avons donc épuisé toutes nos voies de recours pacifiques et les autorités administratives restent sourdes à nos préoccupations. Il ne nous reste maintenant qu’à occuper le site et à empêcher l’exécution des travaux, car nous sommes prêts à mourir pour défendre nos terres’’, a-t-il prévenu.
La situation est explosive dans cette commune habitée par deux ethnies : les Hal Pulaar et les Soninkés. Le maire, Khalilou Wagué, qui est soninké, cristallise une haine viscérale de la part d’une partie de sa communauté implantée à Mboloyel. Son nouveau collaborateur, Yaya Sarre, idole de la jeunesse de Bokidiawé, a été déclaré persona non grata au village de Mboloyel.
“Yaya Sarre s’est dévalorisé, en se rangeant du côté du maire. Il a déçu tout le monde, car on croyait qu’il se battait pour la jeunesse. C’est dommage. Il était sur les lieux en compagnie de l’équipe de topographes. Il avait la tête baissée, toute honte bue. Il cherchait à défendre l’indéfendable. Mais il doit faire très attention’’, menace un manifestant entouré de ses camarades, devant les journalistes.
La réponse de la mairie : “La plupart de ces manifestants ont déjà vendu leurs terres’’
La musique est tout autre dans le camp du maire. Celui-ci absent, c’est son homme de confiance, Baba Diawara, qui a porté la réplique. “Ici, à Bokidiawé, rien ne se fait sans concertation. On ne peut pas procéder à un lotissement d’un espace de 100 ha dans une commune, sans que personne ne soit au courant. Ce n’est pas possible. Quand le maire a convoqué le conseil municipal pour leur soumettre son projet de lotissement, il n’y avait pas d’opposition.
C’est sur ce site qu’on a bâti le lycée de Bokidiawé. Ce sont toujours les mêmes personnes qui s’agitent. Elles se réclament propriétaires, mais quand on revendique la propriété d’une chose, il faut en apporter la preuve. Je peux vous dire que la plupart de ceux qui manifestent ont déjà vendu leurs terres depuis. Le maire n’a confisqué aucune surface. Ce qu’il veut, c’est lotir la ville’’.
Il poursuit : “Vous avez vu que, dans les quartiers anciens, c’est impossible pour une voiture de circuler, tellement les rues sont exigües. C’est ce qu’il veut éviter dans les extensions de la ville. Pour cela, il a tenu au moins quatre rencontres. Deux avaient été tenues chez Daouda Sakho.’’
Ainsi, le dépositaire du cachet du maire indique que “ce projet n’a rien de personnel’’. “Au contraire, dit-il, c’est pour l’intérêt général. Je vous apprends que l’endroit où on est en train de construire l’Eno était un terrain qui appartenait au maire. Mais puisque c’est pour l’intérêt de tous, il a décidé de le mettre à la disposition de la municipalité. Nous avons une liste de 100 personnes qui se disent impactées. Comment on peut s’inscrire sur une liste pour, ensuite, aller déclarer ne pas être au courant ? C’est petit’’, martèle-t-il.
La mairie, jusque-là soutenue par les autorités locales, compte poursuivre son projet de lotissement, malgré la farouche opposition des propriétaires terriens. Des médiateurs flairant le danger ont déjà pris leur bâton de pèlerin pour arrondir les angles.
Le sous-préfet de Ogo a déjà convoqué les deux parties. Cela s’est passé mercredi dernier. Mais les échanges n’ont pas vraiment fait varier les positions, notamment chez les propriétaires terriens, même si l’équipe municipale semblerait prête à lâcher un peu du lest.