Le raid meurtrier qui a frappé, le 2 juillet 2019, le centre de détention de Tajoura, près de Tripoli, en Libye, causant la mort d’au moins 53 migrants, a « probablement » été mené, selon l’ONU, par un avion appartenant à un pays étranger. C’est l’une des conclusions du rapport conjoint publié ce lundi par la Mission des Nations unies en Libye et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme.
L’ONU dénonce l’impunité qui entoure ce drame, et y voit une preuve de plus de l’urgence qu’il y a à « concrétiser les engagements pris le 19 janvier à Berlin d’en finir avec les interférences étrangères » dans ce conflit et de « respecter l’embargo sur les armes ».
Dans son rapport, l’ONU explique que l’avion à l’origine des frappes était « probablement » un avion étranger, sans pouvoir dire s’il était sous commandement des forces d’Haftar ou d’un de ses pays alliés. L’ONU pointe également du doigt la brigade Daman et le gouvernement de Tripoli, dont elle est l’alliée, pour avoir failli à leur « obligation de protection des civils ». Le centre de détention de Tajoura, qui abritait alors plus de 600 migrants et réfugiés, est en effet juste à côté du QG de la brigade et le site avait déjà été touché par une précédente attaque.
En effet, ce 2 juillet 2019, deux raids aériens se sont abattus sur Tajoura. Le premier, à 23h28, a touché un atelier de réparation de voiture de la brigade Daman. Le second, onze minutes plus tard, a frappé le centre de détention situé dans le même complexe à une centaine de mètres. Entre les deux, selon l’ONU, rien n’a été fait pour épargner les migrants et les réfugiés. Plusieurs rescapés ont déclaré aux enquêteurs qu’ils n’avaient « pas été autorisés à sortir après le premier raid » et que certains de ceux qui avaient pu s’échapper avaient même « été contraints de retourner » dans le hangar qui allait être à son tour bombardé.
Les portes du hangar sont restées fermées
L’ONU évoque aussi plusieurs « témoins » selon lesquels le directeur du centre aurait, entre les deux raids, « abattu trois personnes » qui tentaient d’ouvrir la porte de leur hangar. Une allégation rejetée par le directeur, mais aussi par des sources « indépendantes crédibles », précise toutefois l’ONU.
Le département libyen de lutte contre les migrations illégales, qui gère le centre, a en tout cas confirmé aux enquêteurs que la porte de ce hangar était restée « fermée pour éviter que des migrants et réfugiés ne s’enfuient » après le premier raid en expliquant qu’il ne s’attendait pas à ce second raid. Suite à une précédente attaque en mai, la brigade de Daman avait en revanche pris soin de déplacer hors du site des « véhicules de combats et des munitions » en prévision de nouvelles attaques.
Le nom du pays n’est pas précisé
À quel commandement obéissait l’avion meurtrier ? Était-ce le commandement des forces du maréchal Haftar ou bien celui d’un pays étranger agissant pour le compte du maréchal ? Sur ce point, les enquêteurs de l’ONU sont encore dans le flou. Mais une chose semble assez claire en revanche dans ce rapport : « l’appareil » qui a bombardé le centre de détention de migrants et réfugiés de Tajoura appartenait à un pays « étranger ».
Le nom du pays n’est pas précisé, mais pour Ghassan Salamé, envoyé spécial de l’ONU en Libye, qui milite pour le respect de l’embargo onusien sur les armes, cette attaque de Tajoura illustre de « manière tragique à quel point le recours à la force aérienne est devenu une caractéristique » de la guerre civile en Libye. Ainsi que les « dangers et les conséquences pour les populations civiles des interférences étrangères » dans ce conflit.
L’ONU dénonce également l’impunité qui a suivi ce drame, l’un des plus meurtriers depuis le début de l’offensive lancée en avril dernier par le maréchal Haftar pour reprendre Tripoli. Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, exhorte toutes les parties à mener une enquête indépendante sur ce drame, afin que les auteurs de ce raid, « rendent des comptes » et soient poursuivis. Un raid qui viole le droit humanitaire international et pourrait constituer « un crime de guerre », rappelle la Haut-Commissaire.
Le GNA, le gouvernement de Tripoli, avait promis, en août dernier, la fermeture de trois centres de détention, dont celui de Tajoura, mais il est « toujours ouvert », déplore l’ONU, pour qui la fermeture des centres situés « à l’intérieur ou à proximité des sites sous le contrôle de l’une ou l’autre partie au conflit » est une « priorité urgente ». De manière générale, les Nations unies réclament depuis longtemps la fermeture de tous les centres de détention en Libye, où d’innombrables cas de violations des droits de l’homme, torture, viols, et malnutrition sévère ont été largement documentés.
Avec Rfi