Cheikh Anta Diop, intellectuel de génie et fervent défenseur de l’indépendance africaine, n’a jamais cherché à accéder au pouvoir politique, préférant souvent se tenir en retrait des arènes politiques. Cette attitude résolue se manifeste de manière frappante lors des élections générales de 1983, où, malgré sa victoire en tant que député, il choisit de renoncer à son siège pour dénoncer les fraudes électorales qui entachaient le processus.
L’une des phrases les plus marquantes de Cheikh Anta Diop, qu’il répétait fréquemment vers la fin de sa vie, résume sa position : « Ni moi, ni mes partis politiques successifs, n’étions intéressés par le pouvoir pour le pouvoir ». Par ces mots, il mettait en lumière son indifférence envers les attraits et les dangers de la toute-puissance étatique, soulignant que son engagement visait avant tout à servir les idéaux de justice et de dignité pour le peuple africain.
Son refus d’accepter certaines opportunités politiques, comme en 1958 lorsqu’il fut pressenti pour rejoindre un comité chargé de rédiger l’avant-projet de la Constitution de la Cinquième République française, est également emblématique de cette vision. En déclinant l’invitation, Cheikh Anta Diop affirmait qu’il ne pouvait participer à « une réflexion sur la meilleure manière de ligoter et asservir son propre peuple », une position en contraste avec celle de leaders comme Félix Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor, qui acceptèrent de siéger dans ce comité et devinrent ministres dans le gouvernement de Gaulle.
Loin de rechercher la reconnaissance politique, Diop, de retour au Sénégal après sa soutenance de thèse en 1960, choisit de contribuer à la formation des cadres et à la recherche scientifique. Toutefois, son engagement intellectuel ne fut pas sans conséquences : il fut écarté de son poste d’enseignant pendant vingt ans et emprisonné brièvement en 1962 dans un contexte politique tendu. Même les propositions de Senghor, qui lui offrit un poste important en échange d’un soutien politique, ne firent pas fléchir sa position, Diop refusant de dissoudre son propre parti au profit du régime.
En 1983, lors des élections générales, après la légalisation du Rassemblement National Démocratique (RND), Diop adopta une posture d’abstention face à l’élection présidentielle, soutenant l’idée que le changement devait passer par le Parlement et non par un pouvoir exécutif centralisé. Face à des fraudes massives, facilitées par une circulaire autorisant le vote uniquement avec la carte d’électeur, Diop choisit de ne pas siéger, malgré sa victoire. Il expliqua sa décision comme étant un acte de protection de la démocratie et des mœurs électorales du pays.
Cheikh Anta Diop, même dans ses actions politiques, a toujours cherché à incarner l’intégrité et à refuser les compromis qui auraient dénaturé ses principes. En 1984, il démissionna de son mandat de député, soulignant qu’il agissait ainsi en respect de ses militants et en rejet des élections manipulées. Cette posture radicale et cohérente avec ses idéaux de justice et de vérité témoigne de l’engagement profond de Cheikh Anta Diop pour un changement authentique et démocratique, loin des illusions du pouvoir pour le pouvoir.