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Coronavirus: le calvaire de l’Italie, qui a perdu tant de grands-parents

L’ère du Covid-19 en Italie débute officiellement le 30 janvier 2020, date de l’hospitalisation à Rome d’un couple de touristes chinois (déclarés guéris le 28 mars). Tous les vols à destination et en provenance de Chine sont suspendus par le gouvernement qui proclame « l’état d’urgence ». Cela permet de mobiliser des fonds et la Protection civile.

Mais le 1er cas européen n’est détecté que le 20 février à l’hôpital de Codogno, situé à 50 kilomètres de Milan. Il s’agit d’un cadre de 38 ans, Mattia Maestri, qui avait récemment dîné avec un ami rentré de Chine le 21 janvier mais testé négatif. « Mattia était hospitalisé pour une « banale » pneumonie mais toutes les thérapies s’avéraient inutiles. Il était en train de mourir, sa femme était enceinte. Il ne me restait plus qu’à penser à l’impossible. J’ai effectué un test de dépistage qui s’est révélé positif », raconte l’anesthésiste Anna Lisa Marala.

Au lendemain de sa découverte, tous les médias parlent du « patient 1 », confirmant l’arrivée de l’épidémie dans le nord, poumon économique de l’Italie.

Onze communes du nord en quarantaine, sous contrôle militaire

Le « patient zéro » sera recherché en vain pendant des semaines. Entre temps, les cas positifs et décès de personnes ayant été en contact avec le « patient 1 », aujourd’hui guéri, se multiplient. Avant tout à Codogno et dans les villages lombards environnants ainsi qu’à Vò Euganeo, en Vénétie, où la première victime du Covid-19, un agriculteur de 78 ans qui s’était rendu à Codogno, est enregistrée le 22 février. Le lendemain, Rome déclare « zones rouges » ces foyers infectieux. Onze communes, soit 50 000 habitants, sont placées en quarantaine sous contrôle de l’armée.

Les ministres de la Santé des pays frontaliers se réunissent à Rome le 25 février. Alors que de nouveaux cas positifs, provenant de Lombardie, sont détectés en Toscane et en Sicile, les journalistes, dont certains revenaient du nord, ne font l’objet d’aucun contrôle. Par dizaines, ils se retrouvent massés dans un espace exigu, en attente des résultats de la réunion. Le ministre Olivier Véran résume la position commune : « On ne ferme pas les frontières, ça n’aurait pas de sens » et refuse de répondre à cette question : « Les autorités françaises suspendront- elles la rencontre de Ligue des champions du 26 février entre l’Olympique lyonnais et la Juventus Turin ? »

 

Matchs et événements à haut potentiel de contagion

Le match est maintenu, en présence de 3 000 tifosi. « Deux semaines après, on assistait à une explosion des cas de Covid-19 dans le Rhône », affirme le docteur Marcel Guarrigou- Granchamp sur le site de la Fédération des Médecins de France. Il rappelle aussi le match Atalanta Bergame-Valence du 18 février à Milan, toujours en Ligue des champions : « C’est à partir du 4 mars, 15 jours après, que Bergame est devenue une des villes les plus touchées par l’épidémie. »

Le 26 février, jour de la rencontre OL-Juve, une conférence de presse hallucinante se tient à l’Association de la Presse Étrangère à Rome. Le chef de la Diplomatie, Luigi Di Maio, veut faire passer un message optimiste : « Aucune raison de déconseiller un séjour en Italie ! Le coronavirus, dont on guérit, ne touche que 0,1% de notre territoire. » Peu après, via Facebook, le leader de l’opposition et patron de la Ligue, Matteo Salvini, lui fait écho : « Notre pays est le plus le beau, venez tous ! »

 

Le 27 février, le sommet italo-français se tient à Naples comme prévu. Ce soir-là, dans la capitale économique, le secrétaire du Parti démocrate, Nicola Zingaretti, adhère à l’initiative « Milan ne s’arrête pas ! ». Il participe à une joyeuse soirée pizza au cours de laquelle il déclare : « Il faut isoler les foyers infectieux mais la vie continue ! ». Quinze jours après, il est positif et isolé à domicile. « Je ne pensais pas que nous étions tous en danger de mort », confiera-t-il.

À partir du 4 mars la musique change. Sur les conseils du comité scientifique qui a été institué, le gouvernement décide « par précaution » de fermer les crèches, écoles et universités du pays, de suspendre les rassemblements publics et privés, les foires, conférences, congrès. Les matchs devront se jouer à huis clos. Les personnes âgées sont priées de rester cloîtrées. Tous les gens sont invités à respecter les gestes de distanciation sociale. La mise en quarantaine des onze communes n’a pas bloqué la propagation du virus dans le nord. Le nombre de malades et de morts croît autour de Bergame, Brescia, Crémone et Plaisance.

Même si le gouvernement a déjà prévu 30 000 renforts pour les hôpitaux, le système de santé publique, affaibli par des coupes drastiques depuis 2012, risque le crash. Qui plus est, il faut éviter le chaos dû aux annonces discordantes des présidents des Régions, autonomes dans plusieurs domaines. Rome annonce un premier plan d’aide exceptionnelle de 5 milliards d’euros pour les secteurs les plus en crise, dont le tourisme qui représente 15% des emplois et 13% du PIB (232 milliards d’euros). Mais les Italiens peinent à réaliser l’ampleur du drame qui se profile. « Je ne pensais pas que nous étions tous en danger de mort, je trouvais absurde de voir des clients masqués dans les supermarchés. Le déclic s’est produit le 9 mars », se souvient Clara, étudiante milanaise.

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Une première dans le monde, l’Italie mise sous cloche

Le gouvernement avait déjà imposé des restrictions pour les entrées et sorties de 16 millions d’habitants du nord. Mais le 9 mars, premier jour où l’OMS parle de pandémie, le Premier ministre, Giuseppe Conte, présente un décret sans précédent dans le monde, « Io Resto A Casa » (Je Reste A La Maison). « Il n’y a plus de temps à perdre. J’ai décidé d’adopter des mesures encore plus fortes jusqu’au 3 avril pour freiner l’avancée du coronavirus », déclare-t-il. Le pays est mis sous cloche.

Deux décrets successifs prolongeront le confinement jusqu’au 3 mai. Écoles, universités, musées, théâtres, cinémas, resteront fermés. Une mesure qui s’étend aux parcs publics et lieux de culte. Les activités productives non essentielles sont stoppées. Tout rassemblement, y compris pour des funérailles, est interdit. Le sport est à l’arrêt total. Les magasins, les bars et restaurants doivent fermer. Les supermarchés, pharmacies, bureaux de tabac et kiosques à journaux resteront ouverts. Les transports publics continueront de fonctionner.

Toutefois, seuls les déplacements nécessaires pour le travail, les soins de santé, les courses alimentaires sont autorisés, à condition d’être muni d’une attestation pour ne pas encourir une amende de 400€, voire une peine de prison. Dans la foulée, le gouvernement adopte le décret « Cura Italia » qui renforce les mesures de soutien pour les entreprises, les travailleurs au chômage partiel et les familles.

 

« Tous les patients ne peuvent pas être intubés »

À la mi- mars, le nombre de morts grimpe à 1 809, celui des cas positifs détectés à plus de 21 000, dont la moitié en Lombardie. Les hôpitaux du nord manquent de personnel et d’équipements pour les soins intensifs, alors que le Covid-19 progresse à une rapidité exponentielle. Sous couvert d’anonymat, un médecin de Crémone confie : « Nous devons choisir qui intuber entre un patient de 40 ans et un de plus de 60 ans qui risquent tous les deux de mourir. Nous en pleurons. »

La Protection civile assure que « tout sera fait pour combler les carences ». 20 000 soignants sont rappelés en service, dont des médecins à la retraite. Des centaines de respirateurs sont commandés. Des hôpitaux de camp et des tentes de triage sont aménagés, de Milan à Palerme. Et c’est la course aux masques que l’Italie ne fabriquait pas avant.

D’après le directeur général de la programmation sanitaire, Andrea Urbani, le confinement aurait été indispensable dès la fin janvier : « Mais personne en Europe ne pouvait prévoir une telle tragédie. Cela dit, en Italie, sans l’institution de zones rouges puis du confinement général, nous aurions compté entre 600 000 et 800 000 morts au mois d’avril. »

L’apocalypse de Bergame, symbole du martyre italien

Deux semaines après l’entrée en vigueur du décret « Io Resto A Casa », Bergame vit un véritable enfer. Malgré les efforts accomplis, les hôpitaux sont saturés, les morgues et crématoriums aussi. La Lombardie fait alors appel à l’armée. Les images diffusées en boucle sur le petit écran resteront ancrées dans la mémoire collective. Jour après jour, des camions
aux bâches couleur camouflage-jungle transportent des centaines de corps vers les crématoriums d’autres régions.

Finalement, le maire de Bergame, Giorgio Gori, qui estime à « 4 500 », le nombre de décès en plus, entre février et avril, par rapport à la moyenne des dix dernières années, annonce le 16 avril que l’église du cimetière est « vide de cercueils ». Une lumière au bout du tunnel qui se confirme le 20 avril. « Pour la première fois, depuis le début de la pandémie, le nombre de malades diminue, c’est une bonne nouvelle », se réjouit le chef de la Protection civile, Angelo Borelli, qui égrène chaque soir le « bulletin de guerre ». Les hospitalisations et soins intensifs sont également en baisse, depuis le 5 avril.

 

Le scandale infini des maisons de retraite

L’Italie, deuxième pays le plus vieux au monde (après le Japon), où 70% des décès liés au virus sont ceux d’hommes, âgés en moyenne de 79 ans, n’est pas le seul d’Europe confronté au « massacre des anciens ». Selon les récentes estimations de l’OMS, « la moitié des décès liés au Covid-19 dans l’UE ont été enregistrés dans des maisons de retraite ». Dans la péninsule, où 1,6% de la population vit dans des Rsa (Ehpad italiens), jusqu’à début avril, on ne testait ni les morts, ni les vivants présentant des symptômes du coronavirus.

Or, plusieurs de ces établissements ont accueilli des convalescents du Covid-19 pour décongestionner les hôpitaux. Une étude de l’Institut national de statistiques révèle qu’entre le mois de février et le 14 avril, 6 773 résidents sont morts, dont 40% en raison du virus. Une cinquantaine d’enquêtes judiciaires, dont 24 à Milan, pour « homicide et épidémie involontaires » ont été ouvertes.

L’hécatombe silencieuse des anges gardiens

 

Les Italiens, dont les chants et les concerts, aux fenêtres et aux balcons, ont fait le tour du monde, ont cessé de chanter et de hurler en cœur « Ce La Faremo ! » (On s’en sortira !) quand ils ont appris que leurs héros, les soignants, mouraient comme sur un champ de bataille. On enregistre, à ce jour, plus de 20 000 contaminés parmi les opérateurs sanitaires, soit 11,1% du total des cas recensés, et près de 200 décès dont ceux de 150 médecins qui, durant des semaines, ont travaillé sans dispositifs de protection. En comptant les personnels soignants et les retraités dans les Rsa, l’Institut supérieur de Santé estime le nombre d’infectés dans des lieux médicalisés à 55% du total en Italie.

Reconstruire un pays à genoux

72 jours après le premier décès dû au Covid-19, l’Italie va entamer son déconfinement C’est un pays lacéré qu’il faut reconstruire. Les effets de la pandémie, pour 2020, sur la troisième économie de la zone euro, sont synthétisés par ces prévisions du ministère du Trésor : chute du PIB à -8 %, déficit à 10,4%, dette publique à 155,7 %, contre 134 % en 2019…

Le plan qui accompagnera l’Italie pour sa relance et les aides à 9 millions de pauvres (dont 1,5 nouveau) prévoit au total une injection de 155 milliards d’euros, entre fonds européens et italiens. Le défi sera extrêmement ardu, d’autant qu’il faut apprendre à vivre prudemment avec le virus pour éviter un autre confinement. Mais, comme l’a déclaré le chef de l’État, Sergio Mattarella, le 25 avril, jour du 75e anniversaire de la Libération : « Unie, l’Italie parviendra à renaître. »

 

Avec Rfi

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