La violence dans toute sa laideur. Pas celles des images esthétisées des films hollywoodiens ou des séries Netflix. Non, la vraie violence, celle qui s’expose crue, sans filtre ni fioriture dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux par ceux-là mêmes qui en sont les auteurs. Sur Facebook, tout s’affiche, y compris les crimes les plus odieux: viols, actes pédophiles, tortures et
humiliations.
Le fait de voir ces vidéos d’horreur partagées des centaines de fois en un tour de temps record est aussi intrigant que le post en lui-même. Elles sont supprimées par Facebook (ou les autorités algériennes) au bout de 24 heures. On y voit des victimes désarmées fournisseur leurs bourreaux, des personnes éprouvantes du plaisir à faire souffrir leurs proies et s’en vanter ouvertement face à la caméra.
Dans les scènes des viols – les plus nombreuses sur les réseaux – il y a aussi bien des cas où l’on devine que les violeurs connaissent leurs victimes et semblent tirer satisfaction de leur faire subir ce supplice, mais également des actes où l’on s ‘en prend à une attardée mentale, à un réfugié ou à un enfant sans défense.
Puis, il y a ces images qui laissent perplexe: un homme qui tente de se suicider devant sa web-cam, une femme qui incite de jeunes enfants à fumer, des bizutages qui tournent mal avec des images de personnes aspergées d’huile et de farine et dont on voit l’humiliation et le mépris.
Toutes les puanteurs de la société algérienne remontent à la surface des réseaux sociaux. Bien sûr, ces violences ont toujours existé, mais Facebook et Youtube nous les renvoient en pleine gueule.
«Aujourd’hui, nous dit le psychiatre Mahmoud Boudarène, l’événement le plus insignifiant parcourt, grâce aux réseaux sociaux, d’énormes distances et peut faire le tour de la planète en temps réel. Il est amplifié en cours de route. » Et prend quelquefois un caractère démesuré.
A plus forte raison quand il s’agit d’événements tels que le viol, les actes de pédophilie ou encore de torture. Les réseaux sociaux révèlent la cruauté de tels comportements et font découvrir à l’opinion les horreurs que peut commettre l’être humain.
Le fait que les auteurs mettent en scène leurs propres crimes n’est pas un phénomène nouveau, d’après le Dr Boudarène. Dans un élan sadique, ils espèrent ainsi partager leur jouissance sur le Net: «La mise en scène, dit le Dr Boudarène, est consubstantielle de la cruauté et elle est nécessaire parce qu’elle est un des éléments constitutifs du crime.
Elle projette en avant la bestialité qui prévaut dans ce type d’acte, qui bestialité entre toujours en résonance avec l’émotion qui s’empare de l’auteur du crime et qui accompagne la jouissance qu’en tire ce dernier au moment où il commet son forfait.
La mise en scène accroît le sadisme – infliger la souffrance – et l’auteur du viol ou de l’acte pédophile en tire un plaisir exponentiel. Quand le supplice est partagé – aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux – la jouissance est amplifiée, et c’est l’objectif recherché. »
Combien de crimes sont diffusés ainsi sur Internet par ceux-là mêmes qui en sont les auteurs? Difficile de le dire avec certitude. Mais depuis quelques années, tout porte à croire que la pratique se développe. Toutes nos tentatives pour en savoir plus auprès des services de la sécurité nationale (DGSN) sont restées vaines, les responsables n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Lors de leur dernière intervention médiatique sur ce thème, il a été souligné que le nombre d’affaires liées à la diffusion de contenus choquants sur la toile est en constante augmentation, passant de 246 dossiers enregistrés en 2014 par la justice au double dès l’année suivante avec 567.
Les chiffres augmentent encore de façon exponentielle entre 2016 et 2017, passant respectivement à 1055 et 2130 affaires enrôlées et jusqu’à flirter avec les 2800 cas en 2019. Naturellement, le nombre d’affaires liées au monde virtuel augmente au prorata du nombre d’essayer d’internet.
Il y aurait actuellement pas mois de vingt-et-un millions d’Algériens ayant accès aux réseaux sociaux, principalement à partir des smartphones. Pas moins de 49 millions de lignes de téléphone mobile sont en exploitation et majoritairement équipés de la 3G / 4G. Et près de 17 millions d’internautes algériens possèdent un compte Facebook.
L’Algérie compte 34,5 millions d’abonnements à l’internet, ce qui représente environ 86,25% de la population. En tout et pour tout, plus de 13 millions d’Algériens surfent chaque jour sur internet, selon une enquête sur l’internet et les réseaux sociaux en Algérie publiée récemment par la société spécialisée Immar Research & consultancy, soit 46% de cette frange de la population, et environ 10,82 millions d’Algériens de cette catégorie d’âge fréquentent quotidiennement les réseaux sociaux, soit 38%.
Il est à préciser que les plus jeunes sont, de loin, les mieux équipés, ajout que 69% des 15-24 ans et 60% des 25-34 ans ont déclaré posséder un smartphone, alors qu’ils ne sont que 38% des 35-44 ans, 26% des 45-54 ans et seulement 16% des 55 ans et plus.
Les réseaux sociaux encouragent-ils les comportements violents? De son avis de psychiatre, Mahmoud Boudarène estime qu’ils y participent indéniablement. «S’ils n’incitent pas de façon active à avoir de tels comportements, ils les banalisent et font ainsi sauter les digues des interdits», explique-t-il.
D’ores et déjà, un arsenal juridique a été mis en place pour condamner les actes de «cybercriminalité» (lire l’entretien réalisé avec l’avocate Hind Benmiloud). Le domaine est vaste et il est difficile de mener l’enquête du côté obscur dans les réseaux sociaux où les délinquants se croient protégés par l’anonymat que la Toile permet.
Sur ce plan, nous dit-on, les brigades de police et de gendarmerie sont très actives sur la toile à la recherche des identités de ces personnes.
En quelques années, un monde parallèle s’est constitué sur le Net, comme un miroir déformant de la société algérienne. Outils révélateurs de leurs cruautés et de leurs faiblesses, les réseaux sociaux peuvent également être – il est important de le souligner pour faire bonne mesure – un moyen de mettre en exergue leur part de lumière.
Avec El watan