De la période des campagnes électorales de 2016 à la conception du Programme d’actions du gouvernement (Pag) 2016-2021 en passant par ses premiers jours de prise de pouvoir, Patrice Talon avait promis aux béninois en général et aux professionnels des médias en particulier une presse reformée, plus libre et par ricochet qui répondra mieux aux défis du présent. Seulement à l’arrivée, à la place de la concrétisation de ces promesses et projet de société, l’on a à contrario assisté à des exploits qui maintiennent et même renforcent la décrépitude du secteur. Un bilan qui place le monde des médias au Bénin au bas de l’échelle des priorités du gouvernement actuel.
Il avait beaucoup de promis. Candidat à la présidentielle de 2016, Patrice Talon sous le manteau d’opposition au régime finissant avait tout le temps accroché son auditoire, sur la problématique de la liberté de presse au Bénin. Lors de ses réunions, il rassurait la population et surtout les journalistes de sa vision désintéressée pour le secteur des médias. «Nous allons faire la promotion de la presse. Nous allons libéraliser totalement la presse (…) », martelait-il lors de ses exercices de séduction. Une fois élu à la tête du pays, le candidat et opposant au second régime de son prédécesseur Boni Yayi n’a guère manqué de renouveler ce vœu. A nouveau donc, il a, au cours de sa cérémonie d’investiture du 6 avril 2016, fait le serment de s’atteler à assurer et à préserver la liberté de la presse ainsi que l’accès équitable à tous les organes publics de presse. Ainsi, comme toutes les autres idées qui requinquaient son projet de société, il a donné une place prépondérante à la question, dans son Pag. Ceci, au niveau de son pilier 1 qu’est la Consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance et plus précisément dans son Action 3 intitulée « Assurer la liberté de la presse et l’accès équitable de tous aux organes de la presse ». Dans les détails, il ressort de ce document que le leitmotiv du Président de la République et son gouvernement dans le domaine de la presse est » engager des actions qui viseront notamment la professionnalisation des médias, le renforcement de la gouvernance de l ‘ audiovisuel et la libéralisation des fréquences. » Mieux, » l’amendement de la loi organique de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac), la dynamisation du secteur des médias à travers la libéralisation effective des fréquences radio et télévision, le renforcement des capacités des acteurs du secteur des médias et la mise en œuvre du Code de l’information » font aussi partie des promesses qui éteignent ce pan du Pag.
Près de cinq ans après, les fruits ne semblent pas tenir la promesse des fleurs. Puisque sur les 45 projets phares que contient ce Programme, celui relatif à la presse et ses corollaires n’a pas bougé d’un iota. Mais au même moment et ce depuis avril 2016, la plupart des 44 autres projets phares ont dans une certaine mesure, vu un décollement. Un bilan qui en effet est aux antipodes de toutes les bonnes intentions vantées par Patrice Talon et aussi consignées dans son guide de gouvernance, afférent donc au secteur des médias.
Si presque rien de concret n’a depuis près de cinq ans été palpable dans le mais de concéder à la presse sa notoriété de quatrième pouvoir, beaucoup de choses ont par contre été faites pour la jeûner davantage. Si ce constat se ressent dans l’opinion publique, au sein des professionnels du secteur, il est encore mieux cerné à l’international. Dans ce cadre, certains décrivent même le régime de Patrice Talon comme celui le plus hostile à l’autonomisation et à la liberté de la presse. «(…) Il vaut mieux une presse qui dérape et qui répond de ses dérapages devant la justice plutôt qu’une presse muselée et cadenassée», renchérissait Patrice Talon, candidat d’alors. Mais aujourd’hui, la presse et ses acteurs semblent en plus d’être cadenassés, envoyés régulièrement devant la justice, sans aucune autre forme de rémittence. Des exemples qui soutiennent ce point de vue sont légions. Pour preuve, sous le signe des réformes, l’aide de l’État à la presse privée est devenue un ovni que nul ne saurait pour l’heure. Depuis 1997, l’État béninois alloue à la presse privée une enveloppe de 350 millions de francs Cfa, au titre de l’aide publique, repartie en deux volets: l’aide aux organes de presse et l’aide à la formation. Le montant de cette enveloppe n’a pas évolué malgré le fort accroissement du nombre de bénéficiaires. Depuis 2016, le gouvernement de la Rupture doit aux faîtières des organisations de la presse des arriérés de 2017, 2018, 2019 (la moitié a été perçue) et 2020. Et pourtant, les nombreuses assurances des autorités contrôlées dans ce sens ont jusque -là rien donné. Suivant la même description, plusieurs médias sous le pouvoir actuel comme Soleil Fm, La Nouvelle Tribune et Sikka Tv dans une certaine mesure ont été directement ou indirectement fermés. Et ça n’est pas fini. Car le pire cauchemar des acteurs du domaine est depuis peu la loi du numérique. Si le code de l’Information et de la Communication a eu le mérite de dépénaliser les délits ordinaires de presse, cette nouvelle loi qui plane sur la tête de toutes les voix critiques a déjà fait beaucoup de victimes et de prisonniers, dans le rang des professionnels des médias. Quant à l’accès équitable à tous les médias et surtout à ceux publics, cette promesse de Patrice Talon est demeurée presqu’une parole lancée en l’air, quand on se réfère à l’absence d’autres sons de cloche sur les medias de service public. Les multiples rapports et plaintes des organismes internationaux et des organisations chargées de la défense des journalistes et de la presse n’ont pas manqué chaque fois de mettre en relief ces constats qui placent désormais le Bénin dans le rang des mauvais élèves du domaine. Certes les ministères et autres caciques du pouvoir tentent de minimiser et de vouer aux gémonies les rapports qui confortent la régression de la liberté de presse sous le président actuel qui pourtant avait promis tout le contraire. Mais quant à l’absence de la mise en œuvre des réformes réalisées dans le Pag pour dynamiser le secteur, c’est motus total. Nonobstant tous les arguments à charge et à décharge sur le sujet, il est déjà à noter que la presse sous la Rupture est l’un des enfants mal habillés et entretenus.
Avec Matin Libre