Timis Actu

Gabon : Morts du mouvement des casseroles : la vidéo qui fait bondir l’enquête

Vivement controversée, une vidéo amateur, enregistrée d’un balcon de l’immeuble Beyrouth à Libreville, laisse comprendre comment Gildas Iloko, l’un des deux morts des PK dans le mouvement des casseroles, a été tué. Difficile à l’ère des smartphones et de l’Internet de tuer sans être vu. Si elles corroborent, dans une certaine mesure, la première hypothèse du procureur de la République, recueillie notamment auprès de témoins par celui-ci, ces images démontrent surtout comment quelques zélés travaillent à ternir l’image du chef de l’Etat et du pays. Édifiant.

 

Parole d’homme. Engagement sur l’honneur de la puissance publique : faisant le point sur les émeutes nocturnes ayant fait deux mort mercredi, le procureur de la République a promis, l’ouverture d’une enquête en vue d’«établir les responsabilités des uns et des autres». Le commandant en chef des Forces de police nationales a avisé de la même chose. Les procédures annoncées devraient progresser très vite avec une pièce, publiée ce week-end et devant nécessairement être versée au dossier

Apparue sur TikTok, puis déversée et se répandant comme une trainée de poudre sur les autres réseaux sociaux, une vidéo amateur laisse comprendre comment Gildas Iloko, l’un des deux morts des PK, a été tué. En provenance du PK5, un véhicule blanc d’allure Land Cruiser comportant un grillage de protection sur le parebrise, s’arrête un peu après la passerelle piétonne du PK6. Les portières s’ouvrent. Des hommes en treillis en descendent, chauffeur y compris. Muni d’un fusil, l’un des hommes met son arme en joue et tire visiblement, tandis qu’un autre, descendu de la voiture du coté opposé au chauffeur, ôte de la route une table entravant la voie. Sans se hâter, le commando remonte dans le véhicule.

Le véhicule 4×4 annoncé par le procureur ?

Vivement controversée, la vidéo a largement été analysée sur Facebook par des spécialistes de la sémiologie de l’image et par divers autres internautes du genre «je-sais-tout». Une chose est sûre : le théâtre de cet évènement est bel et bien le PK6 dont on reconnait notamment passerelle pétitionne et l’arc métallique enjambant la voie côté immeuble Beyrouth. Prise en plongée, la vidéo a indubitablement été enregistrée de l’un des balcons de cet immeuble. Ainsi que vérifié en journée à partir du point de recueillement installé par les riverains à l’endroit où Gildas Iloko est tombé et où Biendi-Maganga Moussavou a observé un moment de silence ce 21 février, la descente de la passerelle piétonne en arrière-plan sur la vidéo, dément l’hypothèse d’images tournées ailleurs. Des jeunes gens interrogés dans la zone en témoignent également, ajoutant qu’un premier coup de feu est parti de ladite voiture avant même qu’elle ne marque l’arrêt.

Les images en question corroborent, d’une certaine manière, l’hypothèse du procureur de la République indiquant, lors de sa déclaration du vendredi 19 février, que « les premiers éléments de l’enquête, dont certains témoignages, révèlent qu’un véhicule de type Toyota Prado a été vu sur les lieux, avec des personnes portant des cagoules et qui ont ouvert le feu. »  Si tout le monde sait qui porte des cagoules dans les moments de tensions sociopolitiques et lors des mouvements de rue au Gabon, l’opinion est désormais fixée : il n’y avait pas de cagoules, juste des treillis.

Des questions et des responsabilités

Des questions fusent alors. Les commandements en chef des forces de l’ordre ont-ils été informés de cette expédition ? En ont-ils donné l’ordre ? Le ministre de l’Intérieur, premier policier du pays, était-il au courant ? Le ministre de la Défense a-t-il donné son onction ? L’équipe dans la voiture a-t-elle joué de zèle ? De quel corps étaient donc ces hommes, surtout que celui qui ôte la table entravant la voie publique est désigné, sur les réseaux sociaux, comme un élément de la Garde Républicaine (GR) au regard de sa tenue. L’embrouille est d’autant plus compliquée que les brigades déployées dans Libreville depuis le 25 janvier sont composées de l’ensemble des forces de sécurité et de défense. Aucun check-point n’est tenu par une seule force.

La violation des « mesures édictées par l’Etat dans le cadre de la riposte contre la pandémie de Covid-19 », a rappelé le procureur de la République, « expose le citoyen à des sanctions conformément à la législation en vigueur ». Les témoignages recueillis sur les lieux font état de ce que Gildas Iloko était sur le trottoir, là où il a été frappé par une balle, dansant et tambourinant sur une casserole comme bien autres. Les sanctions déclinées par « la législation en vigueur » dans ce viol des mesures de l’Etat, comportent-elles la mise à mort ?

Un zèle qui entache l’image du pays et du président de la République

La doctrine du maintien de l’ordre indique bien que le recours à la force dans les manifestions est encadré par deux notions : l’absolue nécessité de son emploi et la proportionnalité. Le but du maintien de l’ordre n’est pas de causer des blessés graves ou des décès au sein de la foule, mais d’éviter que les forces de l’ordre ne soient elles-mêmes blessées et d’empêcher le vandalisme. Les deux morts enregistrés lors de ce qu’on nomme « Révolution des casseroles » laissent transparaître l’incompétence de la hiérarchie des forces de l’ordre, son refus d’entrer dans la modernité du maintien de l’ordre.

Mais, dans leur zèle pour sauver le régime, les hiérarques des forces de l’ordre et de défense entachent fortement l’image du pays et l’aura du chef de l’Etat, en l’occurrence Ali Bongo Ondimba. Travaillant ainsi contre lui, ils font mentir le président de la République, hier pourfendeur de Kadhafi tirant sur son peuple et fier de n’avoir jamais mis la vie d’un seul Gabonais en danger lorsque lui-même était ministre de la Défense. Le Gabon est désormais perçu comme un pays dont les autorités tuent pour empêcher son peuple de mourir de Covd-19. Une première mondiale dont on ne saurait être fier.

L’opinion attend l’aboutissement des enquêtes promises par le procureur de la République et le commandant en chef des Forces de police nationales. La vidéo en question est résolument une bonne piste. Des têtes devraient tomber. Dans les sociétés civilisées et donc sous l’émergence à la gabonaise, on devrait éviter les morts durant les mouvements de revendications, même lorsque, pour parler comme Nicolas Sarkozy, un Kärcher s’impose pour nettoyer la banlieue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avec Gabonreview

Quitter la version mobile