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[Hommage] Cheikh Béthio Thioune (1938-2019) : un fabuleux destin !

Ce samedi 17 avril 2021 marque le 75e anniversaire de la rencontre (le 17 avril 1946, à Tassette, dans le département de Thiès) entre feu Cheikh Béthio Thioune et Serigne Saliou Mbacké, 5ème khalife du fondateur du Mouridsme, Cheikh Ahmadou Bamba.

Près de deux ans après le rappel à Dieu du fondateur et guide de Cantakônes, le quotidien national « Le Soleil », dans une édition spéciale en couleur de 16 pages (disponible dans toutes les kiosques), revient, avec beaucoup d’enseignements inédits, sur « le fabuleux destin » de celui que ses disciples appelaient affectueusement Cheikh-Bi. Dans cette édition, le Directeur général du Soleil, Yakham Mbaye, a signé un éditorial dont nous vous proposons l’intégralité.

« L’œuvre syncrétique méritoire d’un factotum » 

La mort !

Lorsqu’elle surgit et happe l’être vivant, humain ou animal, alors, elle sublime la Toute-Puissance de Dieu dont une partie est contenue dans Sa Sentence : «Kullu nafsin zaikatul maut» (Toute âme goûtera la mort). Dans le premier cas d’espèce, notre genre, souvent, il ne manque pas des esprits pour s’interroger. En cette occurrence redoutée par tous, même au sein des Gens du Livre, on en compte qui flirtent avec les bords d’un précipice au fond duquel gît le blasphème, telle une hydre, autre réincarnation de Belzébuth.

La mort !

Elle interroge, intrigue, inquiète et apeure. Elle est aussi génitrice de viles conjectures. Ainsi, se déroulent et s’achèvent la vie et l’éclipse des âmes.

Seulement, parce que tout n’est pas négatif en elle, à l’âme destinée, la mort offre, parfois, l’opportunité d’embrasser l’éternité. Là, elle est une aubaine pour les éplorés (parents et proches et alliés), qui, saisis par la grandeur et/ou le génie qu’ils reconnaissent au défunt, tentent d’œuvrer au triomphe de l’impénétrabilité du mystère couvrant celui qu’ils pleurent. Naît alors l’énigme du destin fabuleux.

Un exemple ? Cheikh Béthio Thioune, pardi !

Sans nul doute, aujourd’hui encore, près de deux années après son rappel à Dieu, pour les «Cantakoones» (adeptes des Actions de Grâce à l’endroit de Dieu et du guide de leur guide), leur Cheikh fut une providence. Comme le fut pour ce dernier le 5ème Khalife général des Mourides à qui il avait dédié sa vie, son âme, sa destinée, son souffle vital. Plus que ne s’y était engagé un autre Kajoorien, l’officier Cor Yandé, pour son «compatriote» et chef, Damel Samba Laobé, opposé à son père, Damel Macodou. «Je t’offre ma vie», avait dit le premier au second.

Deux vérités pourraient fleurir dans l’esprit du lecteur finissant de parcourir les 16 pages de cette édition spéciale consacrée à Cheikh Béthio Thioune, ce factotum de Serigne Saliou Mbacké, raconté ici, par tranches de vie, par des femmes et des hommes divers qui l’ont côtoyé et/ou pratiqué.

D’une part, il y eut deux vies en un seul être : Béthio Thioune, puis le Cheikh.

D’autre part, avec un absolu désintéressement, il s’est abandonné aux flots de sa foi inébranlable et extatique en ce saint homme qu’est Serigne Saliou Mbacké, rencontré un jour heureux, le 17 avril 1946, à Tassette, dans le département de Thiès.

Aujourd’hui, cela fait soixante-quinze ans. Plus de sept décennies au cours desquelles cet être complexe et de proximité a charpenté un récit inédit de la saga de ce que Vincent Monteil appelle l’«Islam noir». Le Baboullahi de la communauté de foi des «Cantakoones» est, peut-être, de ceux-là que l’anthropologue Fabienne Samson Ndaw appelle les promoteurs d’un «Islam total qui englobe la vie entière des fidèles». Son «Dukatt» ou danse rituelle qui agrémente ses «Cantë» n’était pas à ses yeux, n’est pas aux yeux de ses disciples, un signe de réjouissances païennes, mais plutôt une «Action de Grâce» reposant sur des allégories.

Il n’empêche, les moins magnanimes entreverront dans tout ce spectacle quelque réminiscence de la culture d’un Ceedo fait Cheikh. Soit ! Parce que Béthio Thioune n’en a eu cure de ces allusions infamantes, lui qui, dans son cheminement spirituel vers le Cheikhat, ne s’est jamais assimilé. Le natif de Kër Samba Laobé, au cœur du Kajoor, village qu’il a rebaptisé Madinatou Salam et fait entrer dans la modernité, n’a pas renié son identité culturelle pour s’islamiser en entrant par effraction dans la Mouridiyah. Il a su concilier, parfaitement, l’une et l’autre dans une sorte de syncrétisme décomplexé. «Lu di Ceex ?» (C’est quoi un Cheikh ?), n’a-t-il pas demandé au mandataire de Serigne Saliou Mbacké qui lui annonça, en 1987, que le futur Khalife général des Mourides venait de le placer à une station inaccessible à nombre de grands érudits ?

En somme, l’Administrateur civil sorti de l’École nationale d’administration et de magistrature (Énam) du Sénégal, doué d’une fine intelligence, fut à l’univers confrérique mouride, pour ne pas dire musulman, ce que le défunt Président de l’Olympique de Marseille, Pape Diouf, estimait représenter dans le monde du football professionnel français : «Une anomalie sympathique».

Sans avoir bâti une légitimité au moyen de la science islamique, en plus d’être issu d’un milieu social modeste et ostracisé – ce dont il parlait ouvertement et non sans fierté –, Cheikh Béthio Thioune, grâce aux vertus qu’il chérissait et à la fidélité à ses convictions, s’est fabriqué l’un des destins les plus prodigieux parmi ceux-là se mouvant dans le cosmos de la ferveur religieuse. En cela, il est digne d’éloges. C’est même fascinant.

Rien ne le prédestinait pourtant à accomplir cette œuvre méritoire qui fit de lui un prodigue bienfaiteur de la confrérie mouride. Celle-ci l’a honoré d’un hommage de respect et d’admiration de son vivant et après sa disparition, le 08 mai 2019. Ses «Cantë» faisaient écho à la belle tradition mouride de partage, de générosité, de dévouement. Sa relation presque fusionnelle («Yaay man, maay yow») avec Serigne Saliou Mbacké, tels le zeste et le ziste, celle avec ses disciples, les «Cantakoones», sa trajectoire d’homme, son aura, sa voix rocailleuse avec laquelle il canonnait son auditoire usant d’un verbe exquis et suave, l’ont fait briller de mille attraits.

Anobli par Serigne Saliou Mbacké, il n’a jamais brigué les honneurs. Celui que ses disciples aimaient appeler «l’unique Cheikh contemporain» se suffisait aux choses dont l’a comblé son maître, l’illustre fils de Cheikh Ahmadou Bamba, inimitable panégyriste du Sceau des Prophètes (Psl). C’est l’attribut même de ce lien de ferveur, quelquefois ésotérique, qui libère le fidèle de l’emprise du soi, et lui permet d’atteindre ce paroxysme que Romain Rolland décrivit dans la «Vie de Micel-Ange» avec une éloquence époustouflante : «S’évader de la tyrannie des choses ! Échapper à l’hallucination de soi-même !»

Le quatrième enfant de Kouly et de Sokhna Bamby Thiam s’est préparé pour l’éternité. Il y est entré ! La mort n’y peut rien. Car, pour des centaines de milliers de jeunes, de femmes et d’hommes d’âge mûr, il a été un «maître spirituel authentique» pour reprendre le propos de son disciple, le Docteur Babacar Seck, auteur de l’ouvrage «Grâces éternelles». Le Directeur de Conscience qu’a été Cheikh Béthio Thioune a, pour ainsi dire, «en fonction des réalités culturelles et sociopolitiques de son époque, trouvé une méthode d’initiation adaptée au profil de disciples qu’il aura à rencontrer durant son magistère». D’autres définiraient cette approche en usant du terme pragmatisme.

Il ne peut donc y avoir de «fin» pour les âmes destinées comme ce Cheikh dont l’œuvre transcende l’être, se fixe dans la mémoire collective. Être fait Chevalier de l’Ordre national du Lion pour couronner une carrière administrative de 38 ans, l’y a davantage installé parce que dans le récit de notre aventure collective, le guide des «Cantakoones» est un «fait» digne de mémoire. Il aura été un dévoué serviteur de la Nation, aussi bien dans son parcours administratif que sociopolitique. Il a également été l’inspirateur de bien des esprits attachés au sens de leur existence terrestre et de leur obédience religieuse à travers un éclectisme philosophique rendant compte de leur psyché et de leur rencontre avec l’Universel. C’était cela, c’est cela Cheikh Béthio Thioune, en définitive. Un guide à la charnière de l’«ailleurs» et de ce qui l’a forgé en tant qu’être de foi, de raison et d’émotions. En tant qu’homme d’une belle humanité. Comme celle qui animait son maître, le saint homme dont il fut le sherpa, Serigne Saliou Mbacké, malgré bien des péripéties. Une divine alchimie qui continue, sans doute, de s’opérer d’outre-tombe.

Par Yakham Codou Ndendé MBAYE

«Hasard ou destin, la réponse n’est pas simple.»

Joseph Kessel

 

Cheikh Béthio Thioune : Une vie entièrement dédiée à Serigne Saliou Mbacké

 

L’équipe du « Soleil » a pu recueillir des témoignages et des anecdotes inédits qui renseignent sur la relation particulière, presque fusionnelle, qui a existé entre Serigne Saliou et Cheikh Béthio Thioune.  

Certains parlent d’un compagnonnage spirituel unique. À juste titre. Quand Béthio Thioune rencontre Serigne Saliou Mbacké, il n’avait que 9 ans. Et depuis, il ne l’a plus quitté. S’illustrant par son action, sa fidélité et son dévouement. Devenant ainsi un modèle pour tous les autres talibés. « On voulait tous lui ressembler tellement il était dévoué, prêt à satisfaire les moindres soucis de Serigne Saliou », confie Modou Thioub qui nous reçoit dans la maison de Serigne Saliou à Mbour. Kër « Serigne bi » situé au quartier 11 novembre est unique de par le calme qui y règne et son architecture très simple. Mais le plus frappant dans cette maison, c’est sans doute la discipline des talibés. Qui prennent part, tous les jours, à la lecture matinale du Coran. « Les saisons se suivent et se ressemblent. Lire le Coran, chanter des khassaides et faire des zikrs. C’est ce que nous faisons tous les jours, conformément aux recommandations de Serigne Saliou », renseigne Serigne Mbaye Diop, maître des lieux, choisi par le défunt Serigne Saliou pour assurer la gestion de la maison. Et c’est justement lui qui a demandé à Modou Thioub de nous parler au nom de la famille. Un choix amplement justifié. Modou Thioub a été pendant de nombreuses années un proche collaborateur de Serigne Saliou. « Beaucoup de choses qui sont rapportées et qui concernent Serigne Saliou et Cheikh Béthio se sont passées sous mes yeux. Donc, ce que je vais vous dire, je l’ai vécu », précise Modou Thioub, qualifiant, d’emblée, Cheikh Béthio de « grand bienfaiteur » de la confrérie mouride. « Béthio était sincère et loyal. Il ne trichait pas et tout ce qu’il a fait, il l’a fait avec désintérêt. Le Magal est là pour l’attester. Ce qu’il a réussi à faire se passe de commentaires. Il est le seul à l’avoir fait. Incontestablement, il était un monument de la Mouridiya », dit Modou Thioub. Il nous apprend que quand il a fait acte d’allégeance à Serigne Saliou, en 1972, Béthio Thioune était déjà un talibé engagé, actif et très remarqué auprès du saint homme. « Son amour et son affection pour le marabout étaient extraordinaires. Il n’attendait pas que les problèmes se posent pour agir. Béthio anticipait sur tous les besoins de Serigne Saliou. Il était toujours le premier à se manifester, toujours prêt à servir, à se donner ». Prenant à témoin deux des talibés qui ont assisté à l’interview qui s’est déroulée dans un modeste salon, là où Serigne Saliou recevait ses hôtes, Modou renseigne qu’il fut un temps où le marabout a connu d’énormes soucis pour faire face aux difficultés de la vie. Et fort heureusement, « l’infatigable Béthio » était là pour soulager et réconforter le marabout.
Même pas de quoi sucrer son café… 
« Serigne Salou était très attaché à ses daaras. Et justement, il fallait trouver des ressources pour la prise en charge des talibés. Ce n’était pas facile. Parfois, la situation était insupportable, insoutenable mais à chaque fois que le marabout avait les « yeux rouges », il y avait un seul sur qui il pouvait compter : Béthio. Lui n’a jamais abdiqué. Il n’a jamais abandonné Serigne Saliou. Aucun signe de relâchement, il a été toujours là pour son marabout». Difficile à croire mais Modou Thioub persiste et signe. Il y a eu des journées, dit-il, où Serigne Saliou prenait un café très amer. Pas parce qu’il le voulait ainsi. Tout simplement parce qu’il n’avait pas de quoi acheter du sucre. « Si on le dit actuellement, les gens pensent que c’est exagéré. Certains peuvent même être choqués et pourtant, c’est vrai. Serigne Saliou a passé des journées sans avoir de quoi se payer du sucre pour son café », confie Modou Thioub. C’était une période où les « hadiya » n’avaient pas la forme actuelle. Les talibés, porteurs d’enveloppes à leur marabout, ne couraient pas les rues. Et les maigres ressources que Serigne Saliou recevait venant essentiellement des champs, il les reversait intégralement aux daaras. Justement, c’est cette période qui a vu s’illustrer un talibé comme Béthio. « On dit que c’est dans les difficultés qu’on reconnaît ses amis. Mais Béthio était plus qu’un ami, il vivait pour Serigne Saliou. Et celui-ci l’a récompensé. C’est aussi simple que cela », explique Modou Thioub.
Serigne Saliou à Béthio : « Tu peux être tranquille… » 
Un jour, dit Modou Thioub, un homme avait promis un camion de gros poissons à Serigne Saliou. Et le marabout était tellement content qu’il a réuni tous les enfants pour annoncer la bonne nouvelle. « Demain Incha Allah, vous aurez un bon thiébou dieun », avait dit Serigne Saliou aux talibés. Seulement voilà, l’homme en question n’était pas sérieux. Du moins, il n’a pas respecté sa parole. L’heure à laquelle il devait venir était dépassée. Toujours pas l’ombre de ce fameux camion. « J’étais sur place et Serigne Saliou s’impatientait, pensant sûrement à ce qu’il allait encore dire aux enfants. Et c’est en ce moment précis que nous avons vu de loin deux camions. Ils arrivent et stationnent devant le marabout. Mais qui descend ? L’homme qui avait fait la promesse ? Non. C’est Béthio Thioune qui descend et se met à terre ». Témoin oculaire de cette scène, Modou Thioud a aujourd’hui encore des frissons quand il repense à cette « incroyable scène » qui s’est déroulée devant deux de ses amis : Mbaye Diop et Serigne Mamour Fall. Modou Thioub se souvient même des premiers mots de Béthio Thioune quand celui-ci est descendu de l’un des deux véhicules : « Mbacké, je vous emmène deux camions. Un rempli de fruits et de légumes, l’autre de poissons. De gros poissons qui vont certainement faire plaisir aux enfants », dit-il, s’adressant à Serigne Saliou. L’énorme souci du marabout venait de trouver solution. Le visage de Serigne Saliou s’est subitement illuminé. Ses yeux pétillaient. Sa joie était immense. « J’étais là assis, devant le marabout. On était tous ébahis. Personne n’a compris. J’ai vu Serigne Saliou regarder Béthio, un regard d’affection unique. Cette image restera à vie dans ma tête », souligne Modou Thioub. Ce jour-là, se souvient-il, Serigne Saliou a formulé une intense prière pour Béthio. C’était en 1989. Et le marabout s’est adressé à Béthio Thioune en ces termes : « Serigne Touba va te rétribuer. Tu peux être tranquille. Je t’ai donné ce que personne ne pourra te retirer ».
Serigne Saliou et ses fruits…. 
En réalité, les récits de ce genre sont légion. Moctar Fall est un agent retraité de la mairie de Kaolack. C’est l’administrateur Béthio Thioune qui l’a recruté, et pendant trente ans, c’est lui qui s’est chargé des salaires de la commune. Justement, quand Béthio Thioune a mis en place le « Dayira des fonctionnaires », Moctar fait partie des premiers à l’avoir intégré. Ce qui lui a permis d’accompagner régulièrement le talibé Béthio à Touba pour rendre visite à son marabout Serigne Saliou. Moctar est formel : entre Serigne Béthio et Serigne Saliou il y a une relation complexe. Un rapport unique. « Seul Serigne Saliou connaît qui est Béthio Thioune et il est le seul à savoir ce qu’il lui a donné », estime Moctar Fall, rappelant qu’il y a des choses dans cette vie sur terre que ne peut comprendre le commun des mortels. Et pour lui, le rapport Cheikh Béthio-Serigne Saliou fait partie de ces choses-là. Complexes et insaisissables. « On constate, on passe sans essayer de comprendre ». Justement, il y a une scène qu’il aime raconter et qui le réconforte dans sa position. Au cours d’un de ses nombreux déplacements à Touba, Moctar Fall a été témoin oculaire d’une scène qu’il n’arrive pas à oublier. Comme d’habitude, se souvient-il, la délégation de Kaolack conduite par l’administrateur Thioune a été bien accueillie. Les instructions de Serigne Saliou ont été respectées. Ils ont été bien installés et ont eu droit à un copieux repas. Mais une chose inédite se produisit au moment de servir les fruits. Serigne Saliou avait envoyé des caisses de pommes, d’oranges et de bananes. Et c’est Béthio Thioune lui-même qui se chargeait du service. « Nous étions près de cinquante personnes. Curieusement, chacun de nous a eu deux pommes, deux oranges et deux bananes. Et à la fin, il ne restait que deux pommes, deux oranges et deux bananes. Vérification faite, seul Béthio qui n’était pas encore servi. C’était incroyable. Je n’en reviens toujours pas ». Et ce jour-là, Béthio Thioune s’est évanoui. Quand il a repris ses esprits, il s’est exclamé : « Serigne Saliou n’a pas d’égal. Rien ne l’échappe. Il savait avec exactitude le nombre de pommes, d’oranges et de bananes qui était dans les caisses ».
Cheikh Béthio : « Fima diar ak Serigne Saliou…. » 
Mbacké Fall est, lui, neveu de Cheikh Béthio Thioune. Il est ancien directeur des Recettes et fiscalités à la mairie de Pikine. Mbacké se souvient que quand la famille, au grand complet (sœurs, frères, neveux, tantes, cousins), a voulu, à travers une manifestation, rendre hommage à son oncle et magnifier ses nombreuses actions, ce dernier a tout simplement fait savoir que celui qui mérite d’être remercié, c’est bien Serigne Saliou. « Je n’ai rien fait. Serigne Saliou est à la base de tout. Allons ensemble le voir pour partager les contours du projet ». C’est ainsi que la délégation conduite par Cheikh Béthio s’est rendue à Touba. Sur place, le Cheikh et les siens rencontrent Serigne Saliou qui bénit la démarche. Et c’était le début des « thiants ». « Je suis le premier à écrire le mot « thiant » dans son bureau à Guédiawaye », confie Mbacké Fall qui se souvient même de la première annonce du rassemblement. « Nous sommes partis voir Pape Moussa Fall, de l’imprimerie des Niayes. C’est lui qui a imprimé la première affiche sur laquelle on pouvait voir la photo de Serigne Saliou et tout le programme ». L’événement s’était exactement déroulé sur trois jours, les 29, 30 et 31 décembre 1987 à « Kër Pauline » à Golf. Mais ce premier grand « thiant » avait enregistré quelques désagréments. Une horde de moustiques avait envahi les lieux. Et un tuyau cassé déversant des eaux usées avait dénaturé l’atmosphère. « Les gens avaient beaucoup souffert ». Cheikh Béthio avait gardé ce mauvais souvenir. Et un an après, en 1988, quand le comité d’organisation s’est rendu à Touba pour les besoins du « thiant », Serigne Béthio Thioune qui venait d’être élevé au rang de Cheikh par Serigne Saliou n’a pas manqué de partager ces désagréments. Et le neveu se souvient exactement de ce que son oncle avait dit au marabout : « Mbacké, grâce à toi, tout s’était bien passé l’année dernière. Mais nous avions eu quelques soucis. Des moustiques et un tuyau cassé avaient perturbé le « thiant ». Nous ne voulons pas que cela se reproduise », avait dit le Cheikh s’adressant à Serigne Saliou. Et il conclut, toujours en s’adressant au guide religieux : « Nous ne voulons non plus que ça pleuve le jour du thiant ». Mbacké Fall n’a aussi rien oublié des propos de Serigne Saliou : « Dieu t’a entendu. Le message est bien passé », avait souri le marabout. À la sortie de cette audience, Mbacké Fall dit avoir tancé son oncle. Lui reprochant d’avoir partagé ces « petits désagréments » avec Serigne Saliou. « Personnellement, je ne pensais pas qu’il fallait en parler au marabout ». Et la réponse de Cheikh Béthio était surprenante : « Tu seras surpris. Le moment venu, tu comprendras mieux Serigne Saliou. Celui avec qui nous avons affaire est un ami de Dieu. Il suffit qu’il veuille une chose pour qu’elle se concrétise ». Ce qui se passe le jour de ce fameux « thiant » de 1988 est tout simplement extraordinaire. « Le jour-j, le ciel était bien dégagé. La perspective de pluie était minime. Et curieusement, il n’y avait plus d’eaux usées sur place. Mais le plus incroyable, c’est que vers 16 heures, on installait tranquillement la sono et les chaises quand, soudain, deux véhicules stationnent. Un homme se dirige vers nous et demande ce qui était prévu sur les lieux. Je réponds gentiment. Il nous dit que sa société a un nouveau produit contre les moustiques qu’il veut tester. Bien sûr, nous lui avons donné l’autorisation de désinfecter les lieux », rappelle Mbacké Fall. Et ce « thiant » s’est « très bien » déroulé sans pluie, sans eaux usées mais aussi sans moustiques. Quand le lendemain, les gens se sont mis à commenter ce qui ‘s’est passé, Cheikh Béthio s’est simplement contenté de dire : « Vous êtes étonnés, émerveillés parce que vous ne connaissez pas Serigne Saliou. « Ma kham sa ma wa dji. Fi ma diar ak mom maa ko kham ». »
« Notre unique maison offerte à Serigne Saliou » 
La générosité de Cheikh Béthio n’avait pas de limite. Son plus grand plaisir, note son jeune frère, Mouride Thioune, était de donner et de partager. « Il a offert jusqu’à offrir sa bague de mariage », rigole Mouride qui a reçu l’équipe du « Soleil » chez lui à Médinatou Salam. Un jour, se souvient Mouride, je l’ai vu porté une belle bague. Et je lui dis : « Grand, ta bague est très belle ». Et Cheikh Béthio de lui répondre : « Tu la veux ». Bien évidemment, Mouride dit « oui ». Sans hésiter, il enlève la bague et l’offre à son jeune frère. Non sans ajouter : « C’est ma bague de mariage, mais je te l’offre quand même ». Mouride dit avoir tout fait pour ne pas prendre cette bague, mais son frère avait déjà décidé. Il se souvient aussi quand Serigne Saliou a dit à Béthio qu’il voulait une maison à Thiès ou dans les parages, celui-ci lui a aussitôt dit : « J’avais une maison à Thiès. Désormais, elle t’appartient ». La rapidité avec laquelle Béthio avait réagi avait même impressionné Serigne Saliou. Et Mouride se rappelle ce jour, quand Béthio a réuni sa maman et tous ses frères pour leur dire qu’il avait offert en « hadiya » la maison familiale à Serigne Saliou. « Il ne savait pas comment introduire le sujet. Parce que ne sachant pas notre réaction. Finalement, il a partagé sa décision. Et, à l’unanimité, nous lui avons dit qu’il avait pris la bonne décision ». Sa maman, Sokhna Bamby Thiam, était même allée plus loin : « Non seulement la décision est bonne, mais elle est juste. Tu as vu juste mon fils. Je suis entièrement en phase avec toi. Serigne Saliou mérite plus qu’une maison », avait réagi Bamby, s’adressant à son fils Béthio Thioune qui avait poussé un ouf de soulagement en entendant la réaction de sa maman. « Je ne m’attendais pas moins que ça. Merci infiniment maman », s’était réjoui Cheikh Béthio.
« Et Serigne Touba l’a récompensé… » 
Tous les mourides le savent : le bon talibé, c’est celui qui se donne entièrement à Serigne Touba. Et sur ce point, peu de gens ont fait mieux que Cheikh Béthio. Modou Thioub, proche de Serigne Saliou est même catégorique : « Il n’y a pas un talibé qui a fait plus que Cheikh Béthio. Du moins, j’ai observé, cherché mais je n’ai pas trouvé quelqu’un qui a égalé Cheikh Béthio ». Kandioura Camara, ancien élève du Cheikh en 1959, témoigne lui aussi de l’attachement de son maître à Serigne Saliou. « Il ne faisait rien sans se référer à ce marabout. Voilà pourquoi son exceptionnel parcours ne m’a pas surpris », se souvient Kandioura Camara. Mouride Thioune, frère du Cheikh, rapporte que Serigne Abdou Lahad Mbacké Ibn Khadimou Rassoul était séduit voire impressionné par le comportement de Cheikh Béthio Thioune. Un jour, dit Mouride, le guide a dit à Serigne Saliou qu’il était « sûr et certain » qu’il n’y avait que Serigne Touba dans le cœur de son talibé Cheikh Béthio. Et celui-ci qui avait entendu cette conversation, a réagi en lançant à l’ancien Khalife général des mourides : « Serigne Abdou Lahad vient de confirmer que c’est bien Serigne Saliou qui est Serigne Touba ». Collaborateur de Béthio Thioune à la mairie de Diourbel, Abdoul Kader Agne trouve, lui, « beaucoup de similitudes » entre le guide des « thiantacônes » et Cheikh Ibra Fall, fidèle compagnon de Khadimou Rassoul. « Ce sont deux hommes qui se sont entièrement donnés à leur guide. Et on ne peut pas travailler pour un saint comme Serigne Touba sans récolter les fruits », dit Kader Agne. Lat Diop, entrepreneur, petit-fils de Samba Laobé, « meilleur ami » de Kouly Thioune, père de Béthio, est du même avis. « Les spéculations sont nombreuses. On a tout entendu pour expliquer le nombre sans cesse croissant des talibés du Cheikh. Certains sont allés jusqu’à dire qu’il mettait des choses dans des jus, du café…. Tout cela était faux. La réalité, c’est qu’il s’est donné à Serigne Touba, sans tricher, et il a été rétribué ». Mbeur Mboup avait 36 ans quand Serigne Saliou a rencontré le jeune Béthio Thioune à Tassette. Il en a aujourd’hui 109 ans. « L’attachement de Cheikh Béthio à Serigne Saliou était sincère. Il a travaillé pour le marabout sans calcul, sans attendre d’être récompensé. Et aujourd’hui encore, seul Serigne Saliou sait ce qu’il a donné à Cheikh Béthio qui reste un exemple, une référence pour tous les talibés ». Paroles d’un patriarche. Mbacké Fall, neveu du Cheikh, rappelle que Serigne Saliou avait lui-même prédit le parcours du Cheikh. « Un jour arrivera et ce jour est très proche, lorsque les gens vont se bousculer devant ta porte ». Le marabout l’aurait dit en 1990. Il avait vu juste. Aujourd’hui, les « thiant » sont organisés par des Sénégalais de tout âge sur toute l’étendue du territoire national. Et le 17 avril, célébrant la première rencontre entre Serigne Saliou et Cheikh Béthio, est un grand moment de partage et de communion. Toujours dans le même esprit du « thiant » : rendre grâce à Serigne Saliou.
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