Face à la véritable hécatombe de patients atteints par le coronavirus, le système hospitalier libanais est de jour en jour un peu plus pris au dépourvu. Le ministère de la Santé Hamad Hassan, qui conduit la lutte contre la pandémie, tente de remédier à la situation, mais ne parvient pas à créer une synergie entre établissements publics et privés. Les menaces de «déclassement» sont adressées aux hôpitaux privés récalcitrants manquent de toute évidence de crédibilité.
«J’ai passé ma journée à recevoir des appels de personnes cherchant un lit d’hôpital», confie tout de go le président du syndicat des propriétaires d’hôpitaux privés, Sleiman Haroun, que nous parvenons à avoir en fin de compte au bout du fil. Le taux d’occupation des lits consacrés aux patients contaminés était encore de 80% il y a deux mois. «Il a bondi et dépassé aujourd’hui les 100%», assure M. Haroun. «Désormais, dit-il, ce que confirment divers directeurs d’hôpitaux, les patients ayant besoin d’être hospitalisés sont soit rejetés d’un hôpital à l’autre, soit accueillis – et parfois entassés – aux soins intensifs, en attendant qu ‘un lit leur soit trouvé. »« Ou, en faute des décès, le roulement sur les lits reste prêté, ajoute M. Haroun, le séjour du patient atteint de Covid-19 étant généralement long. »« Il peut facilement être d’une semaine, et aller jusqu’à un mois », précis-t-il.
«Une ambulance de la Croix-Rouge libanaise a fait marche arrière pour reprendre un patient qu’elle venait de déposer, et que des brancardiers lui ramenaient en hâte sur un chariot», a révélé Georges Kettaneh, secrétaire général de la CRL, dont les ambulances sillonnent inlassablement, jour et nuit, le Liban pour faire face à l’augmentation incroyable du nombre de cas.
La situation est la même dans les hôpitaux publics, révèle le Dr Pierre Abi Hanna, spécialiste en maladies infectieuses à l’hôpital Rafic Hariri. Ces hôpitaux sont désormais débordés en permanence, ce qui les demande d’améliorer leurs performances, d’autant que leur personnel médical est surmené, après dix mois de lutte contre la pandémie.
Dans une déclaration faite hier, le ministre de la Santé Hamad Hassan, tout en affirmant que la situation est grave, a assuré à l’agence al-Markaziya, qu’il tente d’inciter tous les hôpitaux privés à se joindre à l ‘ effort d’endiguement de la pandémie dont tous les jours révèlent l’insuffisance. Le Dr Hassan a haussé le ton hier et averti les hôpitaux privés qu’ils seront «déclassés» ne se joignent pas aux efforts officiels pour lutter contre le Covid-19.
Confronté à cette menace, le président du syndicat des propriétaires d’hôpitaux reste flegmatique. «À quoi servent ces menaces? À rien! nous confie-t-il. Les hôpitaux sont classés T1, T2 et T3. Un déclassement signifie une baisse des barèmes de remboursement. Ou, nous sommes remboursés aujourd’hui conformément à des barèmes établis il y a plus de 20 ans, calculés sur un taux de 1 500 livres libanaises le dollar et dont le montant a perdu 80% de sa valeur! »Et d’ajouter, pour souligner les énormes difficultés financières qui, selon lui, sont confrontés aux établissements de soins, que les banques leur ont suspendu toutes les facilités de caisse qu’elles accordaient avant la crise.
Confronté au fait que le ministre des Finances a annoncé hier avoir débloqué 529 milliards de livres aux hôpitaux privés, M. Haroun reprend: «C’est à peine la moitié de nos frais annuels, qui s’élève à 1 200 milliards de LL» , avant de souligner que ce remboursement est celui des factures présentées … en 2019.
«L’offre des 60 hôpitaux du secteur privé (sur un total de 127 établissements) aux patients contaminés par le coronavirus est en ce moment de 300 lits en soins intensifs et de 550 lits ordinaires, précise M. Haroun. Deux petits hôpitaux, l’un au Nord, l’autre au Sud, ont annoncé aujourd’hui même qu’ils mettent chacun 10 nouveaux lits à la disposition de ces patients. C’est peu sans doute, mais c’est méritoire. »Et de se demander par ailleurs, comme beaucoup de Libanais, pourquoi l’hôpital de campagne de 1 000 lits offerts par le Qatar continue de dormir dans ses caisses sous les gradins de la Cité sportive?
Revenant sur l’augmentation du nombre des patients atteints (4774 cas pour la seule journée d’hier, un nouveau record) et les immenses besoins apparus, comme sur les menaces du ministre de la Santé, M. Haroun insiste sur le fait que les frais engagés dans la lutte contre le coronavirus «sont très coûteux», rappelant que les hôpitaux privés «doivent payer tous leurs achats comptant et en devises, alors qu’ils ne touchent rien – ou seulement une petite partie – de ce que leur doit l’État ». «Nous sommes conscients de nos devoirs, ajoute le propriétaire de l’hôpital Haroun, mais l’État doit être tout aussi consciencieux des siens. »Et de rappeler qu’au début de la pandémie, en mars 2020, le ministre avait promis de rembourser les frais engagés par les hôpitaux privés dans l’hospitalisation des patients atteints de Covid-19,« dans les deux semaines ». «Pas une seule livre ne nous a été payée à ce titre l’année dernière, assure M. Haroun, pas une seule! »Sceptique, le Dr Hamad Hassan a demandé hier au ministre des Finances de lui fournir les chiffres des fonds avancés ou remboursés en 2020 aux hôpitaux privés…
Les moyens du bord
Face à l’effrayante courbe ascendante des contagions, le ministre de la Santé compte donc sur le bouclage du pays, grâce auquel il espère endiguer la vague «au moins deux semaines», et donc augmenter le nombre de lits dans le secteur privé . Face aux résistances il rencontre la partie des hôpitaux privés, le Dr Hassan les a appelés «à oublier leurs droits et comptes bancaires bloqués et à offrir 4 lits chacun à des patients affectés par le virus», soit quelque 250 lits supplémentaires. «Nous devons nous entraider et contribuer, chacun pour notre part, à protéger la société», a-t-il lancé.
Pour le ministre, «c’est notre dernière chance. Nous n’avons plus d’autres options que l’adoption de procédures contraignantes ». Et ajoutez: «Un mois nous sépare de l’arrivée du vaccin, et si nous engageons toutes nos forces pendant la période de bouclage, nous contribuons à réduire le taux de mortalité», sachant que «ce qui va plus que tout endiguer efficacement l’épidémie, c’est de rester au foyer ». Retour donc à la case maison.
Avec L’OJ