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Maroc : Laila Lalami, une romancière en résistance contre Donald Trump

« Mon père a été tué une nuit de printemps, il y a quelques années, alors que j’étais assise dans le coin d’un nouveau bistrot d’Oakland. » L’incipit de The Other Americans de Laila Lalami a tout de celui d’un roman noir : résumé sec de la trame, il alerte le lecteur sur l’ambiance à suivre. Paru aux États-Unis chez Pantheon Books en mars 2019, il a déjà reçu une importante couverture dans les médias américains.

Mais la mort violente de Driss Guerraoui, frappé par une voiture, n’est pas tant prétexte à une investigation policière, avec ses rebondissements, qu’à une enquête sociologique. C’est le point de départ du roman et d’un effet papillon qui vient déranger une myriade de personnages dans leur routine. Nora Guerraoui, sa fille, est la première narratrice d’une longue liste, qui inclue l’homme, arrivé aux États-Unis du Maroc. Ne sachant que « pontifier sur Sartre ou Levinas » mais issu d’une « longue lignée de boulangers », il s’est installé après avoir entendu parler d’un magasin de donuts à vendre. Dans « ses » chapitres, le lecteur est renvoyé jusque dans sa jeunesse au Maroc : peu de temps avant d’émigrer, il était dans les rues casablancaises lors des émeutes de 1981. Au fil des points de vue qui se télescopent ou se croisent, c’est l’histoire de l’Amérique – en cours d’écriture – que le lecteur découvre. Ce dernier se demande vite, de concert avec les personnages, si la mort de Driss n’est pas un crime raciste.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             Qu’est-ce qu’être « Américain » ?

L’action se déroule dans une petite ville de Californie aux portes du désert des Mojaves – Lalami enseigne au département « Creative Writing » à l’Université de Californie à Riverside. Ce cadre permet à l’auteure de ramasser les ramifications entre les personnages et de planter un décor comme un condensé de la société américaine. Il y a Jeremy, vétéran de la deuxième guerre d’Irak, Efrain, Mexicain sans-papiers, témoin du choc fatal à Driss et qui craint de se faire connaître des autorités, Coleman, enquêtrice noire-américaine qui s’installe tout juste en ville… La politique a pesé sur leurs destinées et leurs déplacements. La trajectoire des personnages interroge : qu’est-ce qu’être un Américain ? Qu’est-ce qu’être un étranger ? Qu’est-ce qu’appartenir à une communauté ?

Née en 1968 à Rabat, Laila Lalami a publié un premier roman en 2005, De l’espoir et autres quêtes dangereuses (Hope and Other Dangerous Pursuits). L’histoire d’un groupe de jeunes Marocains qui traversent le détroit de Gibraltar pour gagner l’Espagne a connu un bon accueil critique. Mais elle est maintenant souvent présentée comme l’auteure de The Moor’s Account : paru en 2014, le livre a reçu plusieurs récompenses et a été finaliste pour le Prix Pulitzer de fiction. Il y était déjà question d’un voyage de l’Afrique vers les Amériques. Celui – véritable – de Estebanico, esclave noir marocain, parti d’Azemmour, sur les côtes marocaines, vers les Amériques au XVIe siècle. Le personnage, véritable explorateur, est resté célèbre dans la mémoire populaire marocaine.

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