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Non-respect de la République, saccages des édifices publics… : les Sénégalais à l’épreuve de la citoyenneté

Au Sénégal, on constate avec désolation la dégradation du civisme. L’absence de veille et de sauvegarde des biens publics et la violation des lois et règlements et de la bonne conduite en société par les citoyens sont manifestes. Un handicap sérieux qui impacte négativement le développement. Mandiaye Gaye, l’auteur de «Problématique de la citoyenneté au Sénégal», a fait un diagnostic sans complaisance. Selon lui, l’absence de citoyenneté s’explique par le manque d’éducation civique ou citoyenne. L’incivisme, a-t-il signalé, est présent partout et en permanence à tous les niveaux de la société.

«Les valeurs telles que la droiture, la vérité, l’abnégation et l’amour au travail, la culture du patriotisme, du respect et de la sauvegarde des biens communs et d’autrui, de la parole donnée, de l’honneur étaient jadis transmis aux enfants par l’éducation familiale et civique à l’école. Ces valeurs servaient aux citoyens de repères et de guides pour l’action permanente», a-t-il expliqué, indexant l’État sur les dérives notamment les saccages, le non-respect des institutions, entre autres. À son avis, l’État devrait être le premier à respecter la citoyenneté en faisant en sorte que tous les citoyens soient sur le même pied devant la loi», a-t-il plaidé.

Un argumentaire appuyé par l’historienne Penda Mbow, relevant une rupture dans l’égalité. Dans la mesure où, a-t-elle déploré, tous les citoyens, aujourd’hui, ne sont pas égaux devant la loi. «La Justice ne fonctionne pas au même niveau pour tous», s’est, en effet, désolée le professeur, reconnaissant ainsi que la souveraineté est menacée dans ce pays. Ce, à cause du communautarisme qui s’installe. «On ne se reconnaît plus à travers une citoyenneté républicaine. On se reconnaît à partir de son ethnie, de sa religion, de sa confrérie. Ce qui est une véritable menace de la citoyenneté au Sénégal», a-t-elle prévenu.

D’après Penda Mbow, s’il a été possible d’élire Senghor, doublement minoritaire (chrétien et sérère) en 1960, c’est parce que la citoyenneté était réelle dans notre pays. «Il faut plus d’égalité face à la justice mais aussi, il faut le respect de la Constitution. Il faut que la Constitution soit, comme dans n’importe quelle démocratie, le texte majeur qui structure les relations politiques, sociales et la vie de la nation. Mais si nous voulons, à partir de nos particularités, essayer de conquérir le pouvoir, de conserver ou de se maintenir au pouvoir, ça menace la citoyenneté. Nous devons travailler à reconsidérer les consensus qui fondent la nation», a-t-elle, ainsi, analysé.

Détérioration de la qualité de l’expression

 

Samba Diouldé Thiam, ancien professeur de Mathématiques, a, aussi, pointé du doigt l’explosion des moyens d’expression dans le pays avec les plateaux télévisés, la presse écrite, la presse en ligne et les réseaux sociaux. Une explosion qui, à son avis, s’est accompagnée d’une détérioration de la qualité de l’expression et du contenu du propos livré sur place publique. «Le propos qui était celui de l’arrière-cour ou de la basse-cour est devenu aujourd’hui un propos sur la place publique. En sus, l’anonymat de la toile a conduit certains citoyens à se libérer de toute retenue, de toute entrave vis-à-vis d’autrui, de la communauté, des institutions de la communauté. Il y a un chamboulement extraordinaire de ce champ», a-t-il dénoncé. Poursuivant, il ajoute : «Un pays ne peut pas vivre sans règles. S’il n’y a pas d’ordre, s’il n’y pas de lieu pour dire qui a raison ou qui a tort dans le fonctionnement des contrats et des rapports sociaux, la société, en ce moment, se transforme en jungle. Ce sont les plus forts qui dictent leur loi et les plus faibles qui sont écrasés.»

Samba Diouldé Thiam a également constaté qu’il y a dans le pays une tentative de décrédibiliser l’existence de la normalisation de la vie sociale. Mieux, il a discerné la mise en œuvre d’un projet visant à aller au pouvoir autrement qu’à travers la confiance des citoyens électeurs. Pour lui, l’enjeu, aujourd’hui, c’est l’existence d’une société libre, démocratique dans laquelle il y a des contradictions, des difficultés, des souffrances, etc.

Est-il possible de rétablir la citoyenneté au Sénégal ? Penda Mbow est plutôt sceptique même si elle apprécie les nouvelles figures politiques, qui apparaissent. Quant à Mandiaye Gaye, il estime que cela peut être difficile, mais on peut rétablir la citoyenneté : «Rien n’est impossible dans la vie. Il suffit de se consacrer à ça. C’est difficile parce que l’auto-éducation n’existe pas ou c’est peu de gens qui s’auto-éduquent. Sinon le grand nombre, il faut les éduquer», a-t-il motivé.

  

Renforcer de l’éducation citoyenne

Pour restaurer la citoyenneté, l’éducation est essentielle, selon Mandiaye Gaye qui estime que le service militaire obligatoire pourrait être une solution.

Mandiaye Gaye propose que le service militaire soit obligatoire. Il est, selon lui, d’une nécessité qui s’inscrit dans le cadre approprié non seulement de l’éducation citoyenne de la jeunesse, mais aussi de la formation professionnelle. Car, le service militaire pour la jeunesse est un devoir citoyen qui lui permet d’acquérir le métier des armes, mais aussi d’autres métiers divers. Mais, Penda Mbow préconise une analyse, en amont, de la typologie des militaires, des étudiants pour voir les recrutements. Lesquels, d’après elle, doivent refléter l’état de la Nation sénégalaise. «Ce sont des faits qu’il faut absolument surveiller et analyser pour que la stabilité demeure dans ce pays», a-t-elle souligné.

Pour finir, Mandiaye Gaye pense que la question épineuse de l’éducation citoyenne exige la rigueur de l’État et de tous, ainsi que du sens civique, pour parvenir à surmonter tous les obstacles et à soigner le mal à la racine. Pour ce faire, l’État devra, d’après lui, renforcer l’éducation citoyenne des populations s’il compte remédier à la situation d’incivisme. «Puisque face à une telle situation d’incivisme déplorable, seule une conscience citoyenne de haute portée de la majorité des citoyens avec le sens patriotique et de la sauvegarde de l’intérêt général et des biens publics est en mesure d’y mettre fin», a indiqué M. Gaye. Pour cela, poursuit-il, l’État doit se doter nécessairement de lois appropriées pour combattre de tels genres de comportements inciviques. Il faut, selon lui, des lois dynamiques pour sanctionner sévèrement les comportements inciviques des citoyens marginaux et vandales et, de quelque bord que ces derniers puissent appartenir socialement. «Le manque de sanction favorise l’incivisme au Sénégal. Il faut punir les gens», a-t-il martelé.

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