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Parcours des mondes: les arts anciens africains et la restitution

C’est le plus grand événement mondial dans le domaine des arts anciens extra-européens et l’entrée est gratuite. Les arts africains se trouvent au cœur du Parcours des mondes. Il vient d’ouvrir ses portes jusqu’au 15 septembre, dans 65 galeries du quartier Saint-Germain-des-Près, à Paris. Entretien avec le directeur général Pierre Moos sur l’état du marché et son point de vue sur la restitution des œuvres d’art africain en France à l’Afrique : « on va avoir des surprises ».

RFI : L’édition 2019 du Parcours des mondes, que nous apprend-elle sur la situation des arts anciens aujourd’hui ?

Pierre Moos : Le Parcours des mondes recouvre aussi bien l’Afrique, l’Océanie, l’Asie et puis l’archéologie… Vous y avez 65 galeries, les plus importantes du monde, qui sont présentes ici pour proposer une promenade extrêmement ludique qui permet de visiter 65 petits « musées ». Des marchands du monde entier gardent des pièces parfois pendant plusieurs années pour pouvoir les présenter ici au public. Et si vous êtes intéressé, vous pouvez acheter les pièces présentées, ce qui n’est pas habituel dans un musée… [rires]

Le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain, publié en novembre 2018, après le discours du président français Emmanuel Macron à Ouagadougou, en novembre 2017, qu’a-t-il changé pour le marché de l’art africain ?

Je crois qu’il y a eu un début de panique au moment du discours du président Macron à Ouagadougou. Les gens se sont dit, on va rendre tout ce qu’il y a [en France] à l’Afrique. Le temps est passé et je pense que le président Macron et les gens qui l’entourent ont compris qu’il y a là une espèce d’impossibilité. Juridiquement, rien n’est impossible. On peut changer les textes, mais physiquement et intellectuellement, cela pose des problèmes. Aujourd’hui, selon ce qu’on connaît, 75 % des pièces africaines sur le marché ou dans les musées ont été fabriquées pour être vendues. Comment peut-on rendre des pièces qui ont été achetées ? Cela me paraît difficile. Le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy n’a pas trouvé d’expéditions françaises chargées de ramener des pièces d’Afrique en France. C’est là où l’on arrive à une impasse.

Quel est, selon vous, l’intérêt des pays africains pour ces restitutions ?

À part certains intellectuels en Afrique, il n’y a pas un grand intérêt local pour ces pièces. L’intérêt des restitutions est apparu depuis quelques années, quand certains Africains se sont aperçus que des pièces africaines ont été vendues à plusieurs millions d’euros ou de dollars. Où sont les pièces ? Elles sont partout, sauf en Afrique, parce que, à l’époque, cela n’intéressait pas. On n’utilisait pratiquement plus les masques ou les sculptures. C’était comme aujourd’hui quand on va sur le Champ-de-Mars à Paris où l’on vend des petites tours Eiffel. On les produit et on les vend. À une certaine époque, depuis les années 1920 et 1930, les Africains fabriquaient et vendaient des pièces pour gagner de l’argent. Et quand un village vendait la soi-disant « pièce maîtresse », il y en avait déjà deux ou trois en cours de fabrication qui la remplaçait. Donc, aujourd’hui, pour moi [la discussion sur la restitution], c’est un leurre.

Masque Gélédé, région d’Oyo, à la Galerie Afrique, au Parcours des Mondes 2019.© Siegfried Forster / RFI

Il y a des pièces qui ont été utilisées, c’est vrai. Ces pièces, petit à petit, ont été vendues. Il ne faut pas non plus oublier que l’islam a pénétré l’Afrique. Et l’islam n’admettait pas de représentation humaine. Les gens qui sont devenus – volontairement ou non – musulmans ont détruit les pièces, parce que les masques représentaient une figure humaine ou une sculpture représentait le corps d’un homme ou d’une femme. Il y en a eu énormément de destructions. Et contrairement à ce qu’on pense, ce ne sont ni les Français, ni les Anglais, ni les Allemands, ni les Belges qui ont détruit les pièces, mais, souvent, c’étaient les populations converties à l’islam qui ne voulaient plus de ces pièces et qui les ont détruites. Donc, c’est très compliqué finalement.

Au total, le rapport de Sarr et Savoy avait recensé au musée du Quai Branly, par exemple, 3 157 pièces venant du Bénin. Récemment, le ministre de la Culture, Frank Riester, a annoncé le retour de 26 objets béninois, pillés lors du sac des Palais des rois d’Abomey par des troupes coloniales françaises en 1892.

Le ministre de la Culture semblait dire qu’on va rendre les pièces au Bénin. D’accord, il faut changer les textes, les lois, cela va être fait. Mais même là… J’ai parlé avec des spécialistes qui m’ont dit que les pièces du Bénin qui sont en France n’appartiennent pas au Bénin, ils appartiennent au Nigeria, parce que cela concernait les Yorubas. À l’époque, dans les années 1880 à 1905, les Béninois étaient les plus grands esclavagistes. Et ils avaient les Yorubas comme esclaves. En fin de compte, les pièces du Bénin ont été faites par les Yorubas. Or, aujourd’hui, les Yorubas sont [majoritairement] au Nigeria. [Nombre de Yorubas en Afrique, selon des estimations : Nigeria : 41,6 millions, Bénin : 1,7 million, Ghana : 469 000, Côte d’Ivoire : 120 000…, ndlr]. Donc, c’est très compliqué. Et si l’on veut vraiment creuser, on va avoir des surprises.

Artkhade, un site français spécialisé dans les arts anciens d’Afrique, a parlé dans son rapport 2019 d’un « léger recul » par rapport aux volumes de ventes et d’une baisse de prix. Est-ce qu’il s’agit d’une conséquence du débat autour de la restitution ?

Cela n’a rien à voir. Les marchés, dans l’art en général, sont difficilement contrôlables. Il y a des questions économiques, de mode, c’est assez compliqué. Il n’y a pas de tassement de prix. Il y a une sélection qui est faite. Je le vois tous les jours, maintenant, les collectionneurs savent ce qu’ils achètent. Les collectionneurs n’achètent pas de pièces pour gagner de l’argent. C’est extrêmement rare que quelqu’un va se dire qu’il va acheter une pièce pour 50 000 euros et va le vendre pour 200 000.

Le rapport sur la restitution préconisait aussi une nouvelle relation avec l’Afrique. Avez-vous constaté un changement ?

Tout le monde est d’accord pour améliorer les relations. Je parle tous les jours à des collectionneurs. Ils seraient ravis de prêter des pièces, ravis d’aider à construire des musées. Le problème : si l’on prête des pièces en Afrique, les collectionneurs ont très peu de chances de les voir de retour avant des mois ou des années, parce qu’il n’y a pas d’organisation là-bas.

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