L’alternance générationnelle est souvent évoquée dans beaucoup de partis politiques, mais peu de jeunes représentés dans les instances de décision. S’agit-il d’un manque de préparation des jeunes ou d’une absence de volonté des leaders de céder la place ? Réponses avec quelques experts.
Le débat sur l’alternance générationnelle au sein des partis politiques est tiun vieux sujet. Moustapha Niasse, Secrétaire général de l’Alliance des forces de progrès (Afp), avait invité les jeunes de son parti à se préparer lors du séminaire politique organisé par la Coordination régionale de Dakar de sa formation politique, le 29 mai 2021. Le mercredi 16 juin 2021, il a réitéré qu’il compte se retirer de la tête du parti en 2022. Le leader d’And Jef/Pads-Authentique, Landing Savané, avait déjà fait une déclaration dans ce sens. Dans un entretien accordé à « E-Media », le 23 septembre 2019, il avait, en outre, précisé que « l’alternance générationnelle ne s’offre pas », mais que c’est « la vie qui l’impose ».
Interrogé sur la question, Abdourahmane Thiam, Professeur agrégé et Chef du Département Sciences politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), a d’emblée soutenu que la question de l’alternance générationnelle soulève celle du renouvellement de la classe politique.
Pour Cheikh Ibra Fall Ndiaye, Docteur en Sciences politiques et enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop de Bambey (Uadb), la démocratie en Afrique, plus particulièrement au Sénégal, n’a pas permis à la jeunesse d’occuper une place importante dans les instances de décision. « On peut dire que même si les jeunes représentent le « fer de lance » des partis, ils ont du mal à être plus représentatifs dans les formations politiques. Ceci découle de l’absence de démocratie interne dans les partis mais aussi de leur personnalisation. À cela s’ajoute le fait que les jeunes sont utilisés souvent comme un moyen de mobilisation politico-électoraliste aussi bien pour les coalitions de partis au pouvoir que celles de l’opposition », analyse-t-il. Cela crée, selon lui, une rupture entre les jeunes et certains leaders après les élections.
Faible représentativité
S’agissant de la question de savoir est-ce que ces jeunes sont assez outillés pour être promus aux postes de responsabilité, Dr Ndiaye répond par l’affirmative. Son collègue de l’Ucad, Abdourahmane Thiam, estime qu’il y a au sein des partis une représentation des jeunes si l’on se réfère à la structuration de ces organisations. En clair, il y a déjà dans chaque parti le responsable des jeunes et même dans les structures de base et de direction.
L’universitaire rappelle que dans les différents Gouvernements du Sénégal, des responsabilités ont été confiées à des « jeunes ». Il cite les exemples de Papa Babacar Mbaye, Modou Diagne Fada, Aliou Sow, entre autres. Dans les institutions représentatives, M. Thiam observe aussi la même tendance avec Abdou Mbow qui est actuellement premier Vice-président de l’Assemblée nationale. Quant à la direction des partis, cette représentation reste, à son avis, relative. Il n’y a que quelques leaders de partis qui peuvent être considérés comme des « jeunes », explique le Chef du Département Sciences politiques de l’Ucad, citant Thierno Bocoum (Agir), Cheikh Sidya Diop, Malick Gackou (Grand parti), Ousmane Sonko (Pastef)…
Dans les instances de décision politique, il y a aussi plusieurs jeunes maires comme Thérèse Faye Diouf de Diarèrre, Pape Gorgui Ndong de Pikine-Est, Bara Ndiaye de Méouane dans la majorité ; Bara Gaye de Yeumbeul Sud (Pds), Barthélémy Dias de « Taxawu Senegal », etc. Le Conseil départemental de Guinguinéo est aussi dirigé par Papa Malick Ndour, Directeur général du Programme des Domaines agricoles communautaires (Prodac). D’ailleurs, ce dernier est le plus jeune Président de Conseil départemental au Sénégal. « D’autres promus à des postes de direction ont également fait de leur mieux. L’éducation et la formation qu’ils reçoivent dans leur parti leur offre des prédispositions pour assurer leurs fonctions », lance le Professeur Abdourahmane Thiam.
Insister sur la formation
Du côté des jeunes politiques, on constate la faible représentativité tout en reconnaissant qu’il y a un préalable de compétence pour prétendre à certains postes. Moussa Sow, Coordonnateur de la Convergence des jeunesses républicaines (Cojer), affirme qu’avant de parler d’alternance générationnelle en politique, il faut « d’abord régler la première question qui est celle de la formation académique ou même sociale ». « Que cela soit l’implication des jeunes sur le plan politique ou leur participation effective aux instances de prise de décision, il est fondamental que cette jeunesse soit techniquement compétente et politiquement apte à assumer et assurer une mission politique », admet-il. Cependant, le leader des jeunes affiliés au parti présidentiel rappelle qu’il faut reconnaître qu’au Sénégal, nous avons une jeunesse de qualité et qui est présente sur l’échiquier politique national pour jouer les premiers rôles.
Sur la question de la compétence, Franck Daddy Diatta, Secrétaire général de l’Union des jeunesses travaillistes et libérales (Ujtl), reconnait que « les jeunes ne sont pas souvent suffisamment représentés dans les instances de décision et les partis ». Le jeune responsable libéral constate aussi que beaucoup de jeunes n’ont pas l’expérience qu’il faut pour diriger des formations politiques ou occuper certains postes techniques. « Il y a un temps d’apprentissage pour pouvoir comprendre le fonctionnement politique ou étatique », dit-il.
Instaurer un quota pour les jeunes
Pour inverser la tendance et avoir plus de jeunes à la tête des partis et de certaines instances de décision politique, Dr Cheikh Ibra Fall Ndiaye pense qu’il faut promouvoir la démocratie interne dans les formations politiques. Il propose ainsi d’instaurer un système de quota dans l’octroi des postes de responsabilité politiques. Par exemple, avoir 40 % de jeunes dans les instances de décision ou bien instaurer un système similaire à la parité pour les femmes.
Le Professeur Abdourahmane Thiam va dans le même sens et souligne qu’il faut soit un système de bonne représentation soit de quota. Pour ce faire, dit-il, les partis devraient proposer davantage aux jeunes des responsabilités en leur faisant confiance.
Franck Daddy Diatta, du Pds, appuie la même thèse. Il rappelle que le Programme « Young People For Africa », qui fait la promotion des jeunes leaders en Afrique, est en train de mener le plaidoyer, pour que les États africains adoptent une loi permettant d’avoir un quota d’au moins 30 % de jeunes dans les instances de décision politique. « Il faut initier ces jeunes aux postes de responsabilité, afin qu’ils puissent, très tôt, avoir l’expérience qu’il faut pour diriger », dit-il. Oumar KANDÉ
De l’encadrement des jeunes leaders politiques
L’alternance générationnelle ne doit pas être considérée comme une opposition entre jeunes et anciens, mais comme une complémentarité. Moussa Sow, de la Cojer, prévient qu’il ne faudrait pas créer une situation de concurrence entre jeunes et adultes, mais encourager les premiers à plus de présence tout en faisant comprendre aux adultes que la jeunesse a besoin de leurs expériences pour la construction de notre pays. Pour lui, c’est un « mouvement d’enseignement » qui doit s’opérer dans la solidarité, le respect et surtout le dialogue intergénérationnel. Le Secrétaire général de l’Ujtl est du même avis. « Il ne faut pas penser que les jeunes doivent prendre la place des plus âgés. Il faut dire alliance entre les jeunes et les anciens qui ont une expérience dans beaucoup de domaines. Quand on est jeune, on doit être assisté et encadré par les anciens », exhorte Franck Daddy Diatta.
Avec Le soleil