Victime de son incapacité à mettre en œuvre le Brexit, Theresa May a fini par renoncer à s’accrocher à son fauteuil et a décidé de quitter Downing Street juste après la visite d’État au Royaume-Uni du président américain Donald Trump, du 3 au 5 juin. Le mandat de cette fille de pasteur ambitieuse, dure à la tâche et têtue, restera dans les annales comme l’un des plus courts des Premiers ministres britanniques depuis la Seconde Guerre mondiale.
On s’en souviendra aussi comme d’un véritable chemin de croix tant Theresa May aura subi d’échecs, de vexations, de critiques voire de complots au sein de son propre parti. Son remplacement est une affaire interne aux conservateurs qui vont d’abord se choisir un nouveau leader, adoubé ensuite à la tête du gouvernement par la reine Elisabeth II. La course à la succession ne démarre officiellement que la semaine du 10 juin, mais nombre de personnalités, prétendants déjà déclarés ou possibles, ont pris les devants et rassemblent leurs soutiens.
Le processus se fait en deux étapes. Les candidats doivent d’abord avoir l’appui d’au moins deux députés conservateurs pour entrer dans la course. Les parlementaires votent alors jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que deux candidats en lice. Ensuite, ce sont les membres du parti conservateur qui les départagent lors d’un vote postal. Le tout peut durer jusqu’à six semaines. Le parti pourrait ainsi avoir un nouveau leader et le pays un nouveau Premier ministre à la fin du mois de juillet.
■ Boris Johnson
Grand favori, Boris Johnson a confirmé juste après l’annonce de Theresa May que « bien entendu » il se présenterait. L’ancien maire de Londres, surnommé « BoJo », avait choisi en 2016 de se faire le champion d’une sortie de l’UE après avoir beaucoup hésité. Le député avait préparé deux déclarations, l’une en faveur du « remain », l’autre du Brexit, mais a préféré la sortie par calcul politique dans l’optique de se retrouver Premier ministre en cas de victoire du « leave ». Trahi par un ancien allié, il a dû retirer sa candidature à la succession de David Cameron après le référendum et a été nommé au poste prestigieux de ministre des Affaires étrangères par une Theresa May, désireuse de donner des gages à la frange dure des « brexiters ».
Boris Johnson ne lui en a pourtant pas su gré et n’a cessé de critiquer sa stratégie lors des négociations avec les Vingt-Sept, fragilisant mois après mois la position et l’autorité de la dirigeante. Après la publication de la proposition d’accord de retrait de Theresa May, Boris Johnson a finalement quitté le gouvernement pour défendre un Brexit « dur », une rupture nette, hors du marché unique et sans union douanière avec l’UE.
Charismatique et extrêmement ambitieux, Boris Johnson est à 54 ans très populaire auprès de la base du parti conservateur, mais beaucoup moins auprès de ses collègues députés qui critiquent sa personnalité exubérante, ses nombreuses gaffes et son manque de rigueur. « BoJo » s’est d’ailleurs fait de solides ennemis au Parlement, dont un groupe qui s’est baptisé « Stop Boris » et qui entend tout faire pour qu’il ne passe pas la première étape. En attendant, Boris Johnson s’est dit persuadé de pouvoir trouver un nouvel accord avec Bruxelles tout en se disant prêt à quitter la table des négociations. Il a déjà le soutien de poids lourds du gouvernement, y compris des « remainers » comme le ministre des Finances Philip Hammond qui l’estime plus à même de remporter des élections générales en cas de scrutin anticipé.
■ Dominic Raab
Jeune loup eurosceptique de 45 ans, Dominic Rabb est l’ancien ministre du Brexit. Nommé en juillet 2018 après la démission de David Davis, il avait à son tour jeté l’éponge quelques mois plus tard pour protester contre l’accord de retrait conclu avec Bruxelles. Ancien avocat spécialisé en droit international, il est l’une des figures de la nouvelle garde des conservateurs et s’est déjà attiré le soutien des « brexiters » intransigeants, ce qui signifie que Boris Johnson sera sous pression pour montrer à quel point il est prêt à quitter l’UE sans accord.
■ Michael Gove
Lieutenant de Boris Johnson durant la campagne du référendum en 2016, Michael Gove l’a poignardé dans le dos en lui retirant son soutien juste au moment où Johnson allait annoncer sa candidature à la tête du parti, pour se présenter lui-même au poste. Une trahison qui lui a valu d’être éliminé par la suite par les membres du parti Tory. Ancien ministre de l’Éducation aux réformes radicales et désormais ministre de l’Environnement, Michael Gove est, à 51 ans, un orateur de talent et un redoutable tacticien. Il nourrit depuis longtemps des ambitions pour Downing Street, mais il lui faudra décider jusqu’où il est prêt à soutenir un « no deal », un Brexit sans accord, après avoir défendu jusqu’au bout l’accord de compromis de Theresa May.
■ Jeremy Hunt
Âgé de 52 ans, l’actuel ministre des Affaires étrangères est un ancien « remainer » depuis converti aux vertus du Brexit face au fonctionnement de Bruxelles qu’il a même comparée à l’Union soviétique et dont il a critiqué l’attitude arrogante lors des négociations. Ancien homme d’affaires qui s’est efforcé de rester loyal jusqu’au bout à Theresa May, Jeremy Hunt s’est pourtant déclaré candidat à sa succession dans la demi-heure qui a suivi l’annonce de son départ. Il sait se montrer très persuasif et résilient. Il a ainsi réussi à rester ministre de la Santé pendant six ans tout en étant confronté à la plus grave crise qu’ait connue le NHS, les services publics de santé britanniques.
■ Andrea Leadsom
Parmi les femmes, Andrea Leadsom, 56 ans, a de solides chances. La ministre chargée des Relations avec le Parlement a démissionné mercredi 22 mai, portant un coup fatal à l’autorité de Theresa May qui a ainsi perdu un soutien de poids de la part de cette avocate sans relâche du Brexit. Andrea Leadsom a fait carrière dans la finance à la City de Londres avant de devenir députée en 2010. Elle est devenue une figure proéminente du camp du Leave lors de la campagne du référendum. Candidate finaliste face à Theresa May dans la course à la succession de David Cameron en 2016, elle a dû abandonner abruptement après avoir déclenché une tempête médiatique en déclarant qu’en tant que mère, elle ferait une meilleure Première ministre que Theresa May qui n’avait jamais pu avoir d’enfants.
La liste de candidats est encore longue et tous ceux et celles qui vont se présenter vont devoir d’emblée se positionner par rapport au Brexit, thème dominant de cette courte campagne. Les prétendants devront aussi être prêts à prendre des coups durant un scrutin qui s’annonce sans merci. Au vainqueur, il faudra beaucoup de résilience pour rassembler les électeurs britanniques, toujours extrêmement divisés, au bord de l’exaspération et qui souhaitent un dénouement rapide à une crise qui paralyse leur pays depuis trois ans.
Pour le prochain leader, le problème principal est que l’arithmétique au sein du Parlement reste la même. Il n’aura toujours pas de majorité absolue pour faire passer en force un accord de Brexit ou pas d’accord du tout à la Chambre des communes alors que les députés sont plus que jamais divisés sur le Brexit. Or le temps presse. La nouvelle date-butoir consentie par Bruxelles est le 31 octobre. Il semble quasiment impossible d’ici là de renégocier un nouvel accord avec les Européens qui ont prévenu que cette offre était la dernière. Et si l’UE n’accepte pas d’accorder un autre délai au Royaume-Uni, la première grande décision du successeur de Theresa May pourrait être une sortie sans accord pourtant redoutée de beaucoup.