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Senegal : Quand l’interprétation du terme genre divise des acteurs de l’école

Le mercredi 30 Juin, à la une du journal en ligne Senego, on pouvait lire : des élèves du lycée Ababacar Sy de Tivaouane annulent une conférence sur la promotion de l’homosexualité. Par devoir de vérité, qu’on me permette de préciser qu’il y a effectivement annulation d’une activité programmée par le gouvernement scolaire dudit lycée sur le thème : Tous contre les violences basées sur le genre en milieu scolaire (Vbgms). On pouvait lire sur la note d’information :
Nous élèves : résolvons pacifiquement nos conflits, non par la violence. Elaborons au sein de nos gouvernements scolaires, des plans d’action pour promouvoir les valeurs, les attitudes et les comportements non violents.
Nous écoles : promouvons ces valeurs auprès de notre personnel et nos apprenants jeunes : respect, acceptation, solidarité, inclusion. Impliquons-les dans des activités parascolaires pour améliorer le climat scolaire.
Nous, Etat : intégrons la Vbgms dans les politiques éducatives et les curricula. Renforçons la collaboration entre tous les acteurs. Adoptons le code de l’enfant et la loi sur la modernisation des daraas.
Telles étaient les visées de cette conférence, afin d’assurer à l’école un environnement sûr à l’abri de la violence, garantissant aux filles et aux garçons les mêmes opportunités de réussite.
J’ai cherché des explications sur le thème de la conférence annulée et on peut bien lire : la violence basée sur le genre en milieu scolaire (Vbgms) touche des millions d’enfants, de familles et de communautés. Elle se caractérise par des actes ou des menaces de violence sexuelle, physique ou psychologique perpétrés au sein de l’école ou aux alentours, motivés par des normes et stéréotypes de genre et renforcés par l’inégalité de la dynamique de pouvoir. (…) Cette violence a aussi un impact grave sur les résultats scolaires, de nombreux élèves choisissant de ne pas aller à l’école ou ne donnant pas la pleine mesure de leurs capacités ou abandonnant complètement l’école.
Malheureusement, sur la base de suspicions, d’interprétations du terme genre, des élèves ignares et manipulés ont détruit les installations qui devaient abriter l’activité socio-éducative programmée dans l’agenda du gouvernement scolaire. Par leurs réactions violentes, ils ont donné raison à Mostefa Khellaf lorsqu’il disait : «Quand on est dans l’ignorance on excelle dans l’innovation de la connerie humaine.»
Ce qu’il faut surtout regretter c’est que des collègues se sont réjouis de cette situation et ont félicité «les manipulés», auteurs de vandalisme dans l’espace scolaire. Je me demande comment on peut être honoré ou fier d’une jeunesse qui a fait montre d’une violence inouïe, qui a saccagé et détruit des biens d’autrui.
Personnellement, je serai honoré, si j’avais vu des élèves privilégier la force de l’argument à l’argument de la force, poser des questions, discuter en toute sérénité, et apporter des arguments contre d’éventuels défenseurs des droits homosexuels, si les animateurs et organisateurs de la conférence étaient dans une logique de défense ou de promotion du Lgbt.
Si ce n’était pas des négociations et des discussions que des collègues ont eu à tenir avec eux, ils se seraient attaqués à Madame la censeur. Certains de nos élèves ne savaient même pas qu’il y a un proviseur qui est le chef d’établissement du lycée. Je pense que personne ne doit cautionner ou encourager la violence. Récemment, nous l’avons tous dénoncé lorsque des collègues, un peu partout dans le pays, ont été victimes de violences venant de nos élèves.
Jai eu mal, quand j’ai vu des élèves faire sortir de force le proviseur, le chef d’établissement, l’escorter et le sommer illico-presto de s’expliquer devant des enfants en furie. Tombé de son piédestal, c’est un homme blessé dans son orgueil, très mal en point, qui a juré, sur le Coran, sur tous les saints, de son attachement aux valeurs de l’islam, à celles de la Tarikha Tijaniya, dont il suit la voie depuis au moins vingt ans et qu’il ne saurait, en aucun cas, cautionner l’homosexualité. Que chacun se mette à sa place pour comprendre sa peine ! Ce matin, le pire a été évité à l’école : la foule a beaucoup de têtes, pas de cervelles ; «La preuve du pire, c’est la foule», notait Sénèque.
Il faut se désoler de cette situation, quand des élèves, souvent manipulés ou inconscients, attaquent l’autorité et s’en sortent avec des félicitations, surtout lorsqu’elles viennent de collègues.
Dans le système éducatif, il faut le rappeler, la formation intellectuelle doit conduire à l’émancipation, qu’on doit comprendre moins comme un épanouissement personnel qu’un accès à l’autonomie du jugement, condition de la citoyenneté. L’école est un lieu où savoirs et pratiques s’entrecroisent pour le développement harmonieux de l’individu, c’est un “laboratoire social” selon les mots de Dewey, où on prépare le citoyen futur, appelé à vivre dans une société démocratique. Célestin Freinet rappelait, d’ailleurs, dans l’invariant pédagogique 27 : “On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l’école.” Ces finalités se donnent encore à lire dans la Lettre de politique générale pour le secteur de l’éducation et la formation (Lpgs/Ef)
Nous sommes, en tant qu’enseignants, chargés d’inculquer des valeurs universelles de l’esprit. On enseigne à nos élèves, surtout en classe de philosophie, que la prudence en tout est une exigence pour qui veut penser juste et vrai. On enseigne le rationalisme, la pensée de Descartes, celle de Bachelard qui nous met en garde contre les risques d’erreurs liés à l’obstacle opinion, car faute d’idées, les gens se contentent d’opinions. En classe, on parle, également, de la violence à nos élèves, mais pas pour la cautionner. D’ailleurs, la philosophie, à cause de sa dimension éthico-morale, est contre la violence. Comme le note Eric Weil : le philosophe veut que la violence disparaisse du monde ; il est illégitime de désirer ce qui l’augmente. Pour cela, il faut qu’on en parle, qu’on l’analyse en tant que réalité pour savoir comment y remédier.
On peut toujours discuter, sans jamais s’entendre, sur les véritables motivations de ceux qui voulaient faire la conférence sur des questions liées au genre. Les violences basées sur le genre (Vbg) peuvent se rapporter à toute forme de violence commise sur des personnes vulnérables, l’analyse ne se limite plus aux relations sociales entre les sexes, mais plutôt sur les catégories sociales marquées par une vulnérabilité (femmes, personnes handicapées, personnes âgées….Et certains philosophes féministes soutiennent que le genre est totalement indéterminé par le sexe).
Je reconnais aujourd’hui que le terme genre prête à équivoque, c’est un terme galvaudé, un terme fourre-tout. Mais pour autant, c’est faire de l’amalgame que de dire, comme à la une du journal en ligne, Senego, des élèves ont annulé une conférence qui fait la promotion de l’homosexualité. Souvent des journalistes véreux cherchent à nous manipuler, à nous dicter ce que nous devons penser, à s’imposer comme des maîtres de l’événement ; oubliant ainsi, leur responsabilité immense dans la formation de l’opinion et l’éducation des masses.
Le fait que le mot genre soit «homosexuellement connoté», selon l’entendement de certains de mes collègues, devrait certes nous pousser à la prudence, mais pas nous priver de réfléchir et de trouver des solutions à des problèmes réels auxquels nos filles et nièces sont confrontées en milieu scolaire. Autant des groupes ou lobbies gays cherchent à nous imposer leur idéologie Lgbt, autant nous ne devons pas accepter que des forces religieuses presentes en milieu scolaire nous imposent comme seules réponses la haine, la violence, l’intolérance (pas tout tolérer évidemment) tout le contraire de ce qu’on enseigne à nos élèves. Je ne sais pas qui disait que «L’humanité souffre quand la raison et la tolérance sont blessées. Soignons-les vite», mais il semble avoir raison.
Des collègues m’ont critiqué parce que j’ai dénoncé l’irresponsabilité de ceux qui, sans s’informer, ont poussé intentionnellement des élèves à détruire des biens d’autrui et à attaquer l’autorité administrative, mais quoi que cela nous coûte, on ne laissera personne nous imposer le silence, un silence coupable. Nous sommes mieux placés que n’importe qui pour parler des problèmes de l’école et apporter des réponses intelligentes aux élèves, sinon ce sont des activistes, en quête de notoriété, des journalistes véreux, des plumes corrompues, à la recherche du sensationnel, qui vont parler à notre place et induire en erreur nos enfants, comme ces journalistes de Senego qui ont écrit : au lycée Ababacar Sy des élèves ont annulé une conférence dont le thème portait sur la promotion de l’homosexualité, ternissant ainsi l’image de notre établissement, celle de la ville sainte où repose le vénéré Maodo et ses illustres fils et petits-fils. Je ne pouvais rester indifférent et me taire comme me l’ont recommandé des amis, du fait de la sensibilité de la question.
Les contenus des programmes que nous enseignons n’ont de sens que s’ils peuvent servir dans des situations extrascolaires : on ne peut pas enseigner des valeurs universelles de l’esprit, dénoncer des préjugés et se passer de toutes ces exigences dans nos comportements.
Et personne n’est mieux placé que les enseignants pour faire ce travail de veille et d’éducation aux valeurs de notre société, mais pourvu que nous acceptons et assumons les nombreuses casquettes de *l’enseignant coach* dont le travail ne se réduit à préparer des cours et à les dispenser. Je le rappelle, souvent, les apprenants, surtout au niveau faible et souvent pas motivés, comptent beaucoup sur nous pour comprendre. Mais si on ne sait pas, on doit avoir l’humilité d’avouer son ignorance, plutôt que de faire des amalgames, de dire des contrevérités lourdes de conséquences.
Ce qu’il ne faut ne pas oublier c’est que nous sommes dans une école, malgré les réformes, aux savoirs pas encore décolonisés, dans un pays qui n’a pas les moyens de sa politique éducative. Malgré les efforts de l’Etat et la contribution des partenaires sociaux pour le financement de l’éducation, on compte encore, au Sénégal, sur la contribution des Partenaires techniques et financiers (Ptf) qui, il faut le reconnaître, ont des exigences pour financer notre système éducatif. Ainsi, beaucoup de décisions ou programmes du ministère sont à exécuter par les administrateurs scolaires, les chefs d’établissement, qui n’ont pas les coudées franches pour dire non. S’en prendre à l’autorité scolaire et la rendre responsable, c’est ignorer tout du système qui peut servir des groupes ou lobbies aux intérêts obscurs.
Ce qu’il nous faut, c’est une école à nous, une école sénégalaise. C’est ce que rappelait Feu Amadou Wade Diagne, un grand monsieur de l’éducation, que nous citons pour encore lui rendre hommage : «La vraie révolution de l’éducation au Sénégal passera par le renforcement de nos identités et valeurs culturelles et par la préservation de nos acquis culturels. Et la voie obligée est sans conteste les langues nationales, les savoirs endogènes…Ainsi, l’éducation contribuera réellement au rétablissement de la dignité des sénégalais et au recouvrement de la fierté dans les valeurs et l’héritage légué par nos ancêtres.» In revue Réussir l’éducation, L’école de la rupture, ( 2014).
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre les propos de mon ami Alassane Kitane, professeur au Lycée Amadou Ndack Seck  de Thiès : nos sociétés africaines, surtout celles wolof et sérère,  avaient réussi, de façon ingénieuse et sage, à désexualiser les tendances homosexuelles chez certains sujets. «Sabaru goor-Jiggên», par exemple est une sublimation de ces tendances vidées ainsi de tout contenu sexuel. Le terme Goor-Jigën, «homosexuel» n’existe d’ail­leurs pas en sérère ! Chaque société a les moyens de réguler ses problèmes, mais nous sommes restés aveugles à ces prouesses (d’aucuns les qualifient même de fables) parce que nous sommes prisonniers de schémas étrangers.
On peut reprocher au proviseur, peut-être, de n’avoir pas assez communiqué, de n’avoir pas fait attention au contexte, pas favorable, pour la tenue de cette conférence, au vu des modifications constitutionnelles sur le respect des droits humains, les mises en garde des autorités religieuses, la polémique suscitée dans le monde sur les couleurs Lgbt lors de l’euro du football.
Mais, nous sommes tous responsables, parents, qui laissons nos enfants sans surveillance par rapport à ce qu’ils regardent aux écrans et portent en venant à l’êcole ; enseignants, qui doivent préparer nos enfants à être critiques face à un monde de plus en plus compliqué, plein d’incertitudes, comme le pensait Edgard Morin. Il rappelait l’importance des études et celle d’être bien formé. Pour ce philosophe français, dans l’éducation, la première action consisterait à admettre les incertitudes liées à la connaissance, à parier sur l’aventure incertaine de l’humanité. Ensuite, s’ouvrirait le chemin, la stratégie pour les affronter. (E.morin, 1999).
Nous sommes responsables, en tant que professeurs au lycée et témoins des faits, de n’avoir pas expliqué ou tenté de convaincre les élèves que l’administration n’est pas responsable, ou même d’avoir incité les élèves à une manifestation dont on ne peut, a priori, prévoir les conséquences ; responsables de n’avoir pas  tenu les mains de ceux qui dérapent : ce qu’on attend du pédagogue, c’est d’accompagner.
On ne le rappellera jamais assez : l‘enseignant a un code d’honneur et devrait refuser les manipulations idéologiques, médiatiques, commerciales, syndicales de toutes sortes pour exercer son art en toute indépendance. L’enseignant a de la loyauté et doit a priori de la solidarité à ses collègues ainsi que de la confiance à son chef d’établissement. (J.Svalgelski, 1997).
Enfin, ceux qui, la foi en bandoulière, s’agitent et prônent la violence sous toutes ses formes doivent, je pense, prendre exemple sur Cheikh Ahmadou Bamba, le saint homme, qui a été non violent au point que la violence n’a rien pu faire contre lui.
Bira SALL
Professeur de philosophie au lycée Ababacar Sy de Tivaouane
Chercheur en éducation 6 Doctorant en psychologie du développement
sallbira@yahoo.fr

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