Le défunt Président sud-africain, Nelson Mandela, disait que «l’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde». Cette citation renvoie à une place primordiale accordée à l’éducation pour transformer, innover et accéder au développement dans les sociétés humaines. Mais, de plus en plus, l’espace universitaire est marqué par diverses formes de violence. Un phénomène condamné par les étudiants eux-mêmes. Pour certains observateurs, il est loin d’être le reflet de la société sénégalaise.
Les images ont fait le tour des réseaux sociaux. Choquantes, elles ont été dénoncées par tout le monde. Des étudiants de la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, contestant les résultats issus des élections de renouvellement de leur amicale, se sont livrés à des actes de vandalisme en saccageant le restaurant Argentin au campus social. Des scènes de violences récurrentes à l’Ucad. Les 8 et 9 février dernier, la Faculté des Sciences et Techniques a été transformée en champ de bataille entre deux groupes d’étudiants toujours à propos des élections de délégués. La nuit du jeudi 25 au vendredi 26 mars dernier a été aussi très longue au campus social à cause d’une bataille sanglante opposant des membres des associations Kekendo et Ndef Leng. Les échauffourées ont même provoqué la mort d’un ancien étudiant, Ismaïla Gaoussou Diémé. La liste des scènes de violences enregistrées chaque année, au temple du savoir, est loin d’être exhaustive. Des actes qui pourtant écœurent des étudiants.
Mardi 15 juin 2021. Il est 11 h passées à l’Ucad de Dakar. L’atmosphère est polluée par l’odeur de grenades lacrymogènes lancées par les policiers pour disperser des étudiants de la Faculté des Lettres et Sciences humaines (Flsh) qui ont barré l’avenue Cheikh Anta Diop. Ces derniers, membres de la liste «Coalition excellence», contestent les premiers résultats issus des élections de leur faculté concernant le renouvellement de leur amicale. Assis sous l’ombre du grand baobab face à la Direction du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), Abdoulaye Diouf, étudiant en première année à la Faculté des Sciences et Techniques, est plongé dans ses cours de géologie. Le natif de Tambacounda est «scandalisé» par les saccages du restaurant Argentin. «Ces actes sont indignes d’un étudiant. Nous sommes venus ici pour acquérir des connaissances, mais pas pour apprendre à nous battre. Quand ils sont en mouvement, les étudiants détruisent tout sur leur passage. Ce qui est inadmissible», déplore le Tambacoundois.
Honorer par les actes la mémoire de Cheikh Anta Diop
À quelques encablures, Marie Odile et ses trois camarades se reposent sur des banquettes non loin du pavillon F. Eux aussi, ils dénoncent tous les actes de vandalisme qui sont souvent posés par leurs camarades. «Je ne suis pas du tout d’accord avec eux. On peut manifester sa colère sans causer un préjudice à autrui. L’université est un lieu de savoir, de réflexion. Il n’y a pas de place pour la lutte ou la boxe. Nous devons honorer la mémoire de Cheikh Anta Diop de par les actes que nous posons tous les jours», explique-t-elle en sirotant sa boisson gazeuse. Son camarade Lamdou Cissé, étudiant en Master I à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) d’ajouter : «Ce sont les étudiants qui détruisent les biens publics qui, demain, reviennent pour dire qu’il n’y a pas suffisamment de matériels dans le restaurant». Abdoulaye Cissé est le président sortant de l’amicale des étudiants de la Faculté de droit. Trouvé dans sa chambre, il condamne les actes de violence car, à son avis, l’étudiant doit avoir une arme de lutte autre que saccager les biens publics. «J’ai été choqué en voyant ces scènes et j’ai même reçu une pierre à la tête parce que je m’opposais à ces saccages», dit-il, non sans reconnaître que Cheikh Anta Diop mérite mieux que cela. De son avis, il faut assainir le campus pour le retour d’une paix durable.
NDIACÉ DIOP, MÉDIATEUR DE L’UCAD
«L’Université ne peut pas s’accommoder de troubles de violences»
Maître de Conférences titulaire au Département de géographie, Ndiacé Diop, Médiateur de l’Ucad, regrette les scènes de violences devenues fréquentes dans ce temple du savoir.
Quelle analyse faites-vous des scènes de violence devenues récurrentes à l’Ucad ?
Des étudiants qui portent le mouvement essayent de trouver la manière la plus directe de montrer aux autorités qu’ils sont en colère. Ils s’attaquent à tout ce qui est un bien ou un patrimoine de l’Etat. Quand le ton monte, ils s’attaquent à tout, dans le sens d’installer le désordre. C’est pourquoi nous déplorons cette façon de se signaler. Il ne faudrait, en aucun cas, accepter la violence comme recours. L’Université ne peut pas s’accommoder de troubles de violence.
La suppression des amicales ne peut-elle pas résoudre le problème ?
C’est une question très délicate. Ce n’est pas mauvais de rappeler que les étudiants, à travers les amicales, apprennent à s’organiser. Est-ce qu’aujourd’hui, on peut souhaiter qu’on mette de côté les amicales et que, du coup, les autorités, qu’elles soient académiques ou politiques, n’aient plus d’interlocuteurs crédibles ou légitimes. Ce qui pose problème, c’est cette violence récurrente qui intervient dans des périodes particulières de l’année. Dès qu’on ouvre le processus de renouvellement des amicales, la violence habite à nouveau le campus.
Quelles sont les solutions proposées par les autorités de l’Ucad pour mettre fin à cette violence ?
Les autorités notamment le Recteur a pris toutes les dispositions utiles pour que cela cesse. L’étudiant qui se livre à la violence est sûr de recevoir une sanction. Aujourd’hui, on a suspendu des étudiants pour des années. Seulement, le cœur de la violence, c’est le campus social. Et le campus social, du point de vue des franchises universitaires, n’est pas expressément concerné. Mais il y a une relation fusionnelle entre le campus social et le campus pédagogique qui font que, chaque fois qu’il y a quelque chose dans le dernier, l’autre espace est impacté. Cela est bien dommage. Mais le Conseil restreint de l’Université avait pris une décision pour dire qu’aujourd’hui, après avoir identifié les sources de la violence, il fallait faire de sorte qu’il y ait toute la transparence requise dans la distribution des chambres et qu’il ne soit plus loisible à un président d’amicale de distribuer des chambres comme il l’entend. Les chambres seront désormais distribuer à travers une plateforme pour faire dans la transparence.
Juste une question d’éducation, selon le sociologue Souleymane Gomis
Analysant la récurrence de la violence dans l’espace universitaire, le Professeur Souleymane Gomis, enseignant-chercheur au Département de sociologie à l’Ucad, estime que le phénomène n’a rien à voir avec la réalité que vivent les Sénégalais en communauté. «Les formes de violence que nous notons dans nos universités ne sont pas le reflet de la société, car les gens discutent et échangent jusqu’à présent dans les villages, les places publiques, etc.», a affirmé le sociologue. Selon lui, il s’agit de mettre l’accent sur l’éducation des jeunes en misant sur les principes fondamentaux de notre société. «La violence, en aucun cas, n’a jamais été une solution. Il faut plutôt privilégier le verbe», préconise Pr Gomis.