Sept axes de changements qui modifient une grande partie de la Constitution. Un vice-Président, un chef de gouvernement aux prérogatives renforcées, une Cour constitutionnelle qui contrôle les ordonnances et lois organiques et intervient en cas de conflit entre institutions, un Parlement qui contrôle les actes du gouvernement, protection de la liberté de la presse, du culte, du principe d’inamovibilité du juge et interdiction de la censure sont quelques nouvelles dispositions appelées à être débattues dans un contexte de confinement qui rétrécit la marge de manœuvre.
La première mouture de l’avant-projet de la nouvelle Constitution a été rendue publique, jeudi en fin de journée, par la Présidence. Elle comporte de grandes modifications expliquées dans l’exposé des motifs et articulées autour de sept principaux axes qui «garantissent les droits et libertés de chaque individu, l’équilibre entre les différents pouvoirs, le contrôle de ces derniers par les institutions représentatives de la volonté populaire, une justice indépendante et équitable, la transparence de la gestion des affaires publiques et la bonne gouvernance».
Avant d’aborder les changements proposés, la commission de l’élaboration de cette mouture précise qu’il lui était «difficile de rester» dans la ligne des directives données par le Président dans sa lettre de saisine et liée à l’harmonisation «entre l’Etat de droit et les principes internationaux sur lesquels repose tout système constitutionnel ainsi qu’à la situation du pays».
Pour la commission, «le travail demandé ne pouvait se réaliser sans revoir le texte, l’améliorer dans sa forme, ses dispositions, et son préambule auquel des propositions ont été ajoutées pour rester en harmonie avec la situation interne et internationale».
Dans ce cadre, certains articles ont été supprimés «pour leur nature illégale, ou partisane, ou parce que dépassés», d’autres maintenus et «renforcés pour être plus consensuels» et de nouvelles dispositions ont été introduites «pour mieux garantir l’Etat de droit».
Ces amendements sont articulés autour de sept axes précis. Consacré aux «droits fondamentaux et les libertés collectives», le premier comporte 22 amendements qui consacrent les droits individuels et collectifs.
Parmi ces derniers : la criminalisation de la torture et de la traite des humains, le droit à un dédommagement en cas de détention arbitraire, le respect du secret des communications, la protection des personnes morales en cas de traitement des données à caractère personnel, le droit au regroupement, à la manifestation et d’association, la liberté de la presse, l’interdiction de la censure, le droit à l’accès à l’information. Le deuxième axe, lié à la séparation des pouvoirs et l’équilibre entre eux, comporte 14 nouvelles dispositions.
D’abord le maintien du principe de deux mandats présidentiels, qu’ils soient «successifs ou séparés», «la possibilité pour le Président de nommer un vice-Président, le retour au poste de chef du gouvernement en renforçant ses prérogatives, limiter l’instauration de l’état d’urgence à 30 et d’exception à 60 jours, non-renouvelables sans l’accord du Parlement», le droit de la Cour constitutionnelle, instituée à la place du Conseil constitutionnel, «de contrôler les décisions prises en cas d’état d’exception».
Il est également proposé «une limitation des mandats parlementaires à deux seulement, un vote à la majorité des membres de l’Assemblée lors des travaux, la consécration de l’immunité pour les faits liés exclusivement aux activités parlementaires, l’annulation du droit du Président à légiférer par ordonnance durant les vacances parlementaires et rejet de tout projet de loi présenté par le gouvernement s’il n’est pas accompagné par un décret d’application».
Participation de l’Anp aux opérations de maintien de paix sous l’égide de l’ONU
Le troisième axe est consacré au pouvoir judiciaire pour lequel sept amendements sont avancés. Il s’agit du renforcement constitutionnel de l’indépendance de la justice, la consécration du principe d’inamovibilité du juge ainsi que la composante du Conseil supérieur de la magistrature, présidé par le président de la République, lequel peut être remplacé par le 1er président de la Cour suprême et non pas le ministre de la Justice, qui se voit écarté de la composante du Conseil au même titre que le procureur général près la Cour suprême.
Il est également proposé l’augmentation du nombre des magistrats de siège et la désignation de deux membres du syndicat des magistrats au sein de ce Conseil, tout en maintenant celui des représentants des parquets.
Le quatrième axe, a trait à l’institution d’une Cour constitutionnelle à la place du Conseil constitutionnel, avec une modification de sa composition et de certaines de ses prérogatives. Ainsi, la nouvelle Cour sera composée de quatre membres désignés par le Président, quatre autres n’appartenant à aucun parti politique, deux choisis par le président de l’APN, en dehors des députés, deux autres par le président du Sénat, qui ne soient pas sénateurs, et quatre magistrats élus par leurs pairs.
Cette Cour constitutionnelle aura les prérogatives de contrôler la concordance de toutes les ordonnances et les lois organiques avec les conventions internationales ratifiées et statuera, une fois saisie, sur les conflits qui peuvent confronter les institutions de l’Etat.
Le cinquième thème concerne la transparence et la lutte contre la corruption. Sept nouveaux articles y sont proposés parmi lesquels, l’interdiction du cumule des fonctions publiques avec les activités personnelles ou professionnelles privées, de la création d’un poste public ou de faire une demande publique qui ne soit pas dans l’intérêt général, et obligation pour tout agent public d’éviter, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, tout conflit d’intérêt.
Il est également proposé l’obligation de la déclaration de patrimoine à la prise de fonction et à la fin, en début du mandat et à la fin, pour tous les hauts fonctionnaires de l’Etat, les parlementaires, désignés au Parlement, et les élus locaux, obligation pour les autorités publiques de respecter la bonne gouvernance et d’imposer son respect dans la gestion des affaires publiques et pénalisation du trafic d’influence.
Le sixième chapitre traite de l’Autorité national indépendante des élections, qui se voit ainsi consacrée par une nouvelle disposition, avec renforcement de ses prérogatives, sa composition, son fonctionnement et son intervention. Le septième axe est en réalité un ensemble de 13 nouvelles dispositions que la commission chargée de la réforme de la Constitution a estimé «importantes» à introduire.
D’abord la consécration du mouvement du 22 février 2019, à travers son introduction au préambule de la nouvelle Constitution, l’interdiction du discours de la haine, possibilité de doter certaines communes d’un code spécifique, consécration du principe de neutralité de l’administration, l’obligation faite à celle-ci pour argumenter ses décisions et répondre aux doléances des citoyens, le respect de la non-discrimination et de l’égalité, l’introduction de tamazight parmi les principes qui ne peuvent être amendés, la consécration de la participation de l’Algérie à des opérations de maintien de la paix sous l’égide de l’Onu mais aussi dans la région pour la restauration de la paix dans le cadre d’accords bilatéraux avec les pays concernés.
Toutes ces propositions sont soumises à débat à tous les niveaux. Cependant, on peut s’interroger sur les conditions dans lesquelles ce débat aura lieu, dans un contexte de confinement. La révision de la Constitution est un projet trop important pour le discuter en vase clos. Il aurait été plus judicieux de tempérer jusqu’à la fin de la crise sanitaire que traverse le pays pour permettre une plus large participation à l’enrichissement du projet de loi.
Avec Elwatan