Fermée depuis six mois pour des « raisons de sécurité », l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar a accueilli hier, jeudi 21 décembre, la conférence publique marquant le début des festivités pour la célébration du centenaire de la naissance de son parrain qui se poursuivront jusqu’au 29 décembre prochain. A cette occasion, les conférenciers sont revenus sur l’œuvre de l’égyptologue qui a réhabilité l’histoire du continent noir qui faisait face à une politique européenne de dénégation de l’existence d’une histoire de l’homme noir.
Ce mois de décembre marque le centenaire de l’égyptologue Cheikh Anta Diop décédé il y a 37 ans. Mais son œuvre n’en finit pas de retentir pour son attachement à montrer l’apport de l’Afrique et en particulier de l’Afrique noire à la culture et à la civilisation mondiale. Son centenaire donne donc lieu à une célébration avec une série d’activités. Et hier, jeudi 21 décembre, l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) qui porte son nom, a ouvert le bal avec une conférence publique axée sur le thème « l’œuvre de Cheikh Anta Diop et les défis de la reconstruction d’une pensée audacieuse pour l’Afrique » en présence de beaucoup d’intellectuels.
Dans un contexte de marginalisation accélérée du continent, ses travaux, qui marquèrent le retour de la conscience historique de l’Afrique, appellent à la permanence du combat contre les racismes sous toutes leurs formes. Dans sa communication, l’égyptologue à l’Ucad, Pr Aboubacry Moussa Lam, a indiqué que Cheikh Anta Diop a fait montre de « courage » pour le « renversement des paradigmes » et la « création du nouvel africain ». « Nations Nègres, cette œuvre a eu un déclic. Quand il arrive en France, il avait décidé de rectifier l’histoire qui était une histoire erronée. On disait que tout ce qui se trouvait en Afrique en matière de civilisation venait des Blancs. Il trouve ça anormal. Pour le faire, il savait qu’il fallait s’armer de la science jusqu’aux dents. Il était bien préparé. Il avait ses deux bacs », a dit Pr Lam. A cela, s’ajoutait la thèse « Qu’étaient les Egyptiens prédynastiques » qui n’a jamais été soutenue, faute de ne pas pouvoir réunir un jury acceptant d’examiner les travaux.
« Cheikh Anta Diop ne soutiendra jamais ses thèses. Son ambition, il ne l’a pas réussie puisqu’on lui barre le chemin de soutenance de doctorat d’état mais il ne se décourage pas. Il prend deux autres sujets. Cette fois-ci, la Sorbonne tira les leçons du blocage de Cheikh Anta Diop. Quand il a été bloqué, il a bénéficié d’une circonstance favorable. Il est allé chez Présence africaine. Ce qui devait être étouffé devient une bombe nucléaire. Ils vont le laisser soutenir cette fois-ci mais ils vont le casser académiquement. On lui donne mention honorable », a expliqué Pr Aboubacry Moussa Lam. La publication de Nations nègres et culture dans lequel il démontre en particulier que l’Egypte ancienne appartient au monde négro-africain, sonne donc comme un coup de tonnerre dans le ciel tranquille de l’establishment intellectuel.
L’auteur de Nation nègres et culture n’en finit pas de rencontrer des difficultés. Il se voit aussi bloquer les portes de l’université après sa soutenance. « Il a fait deux thèses d’Etat de doctorat dans l’espace de 10 ans. Il ne s’est pas découragé. Vous voyez ce que cela représente comme abnégation », dira Pr Lam. Poursuivant son propos, il ajoute que les objectifs de l’œuvre de Cheikh Anta Diop consistaient à « rétablir la vérité et la conscience historique ». « Cheikh Anta Diop va montrer que les Egyptiens étaient des noirs. C’est ça, la vérité historique. Il a rétabli que c’est l’Afrique qui a peuplé le monde et qui a civilisé le monde à travers la civilisation égyptienne », a dit le conférencier. Pr Lam invite ainsi les Africains à surtout lire le premier livre Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop afin de « comprendre énormément des choses et de lutter contre le complexe ».
Prenant la parole, le second communicant, Pr Samet Yaporeka, philosophe, égyptologue et écrivain burkinabé est revenu sur ce que disposent les noirs pour redonner à l’Afrique sa place dans le concert des Nations. Il évoque, entre autres, la question de la renaissance africaine, la restauration de la conscience historique africaine, la question des langues nationales comme vecteurs de connaissances. « La question de la renaissance africaine apparait dans les tous premiers écrits de Cheikh Anta Diop. Pour lui, cette question est d’abord culturelle fortement liée à la réappropriation des langues africaines. Elle comporte une dimension sociale avec le rôle des femmes et des jeunes. Il recommande la mise en place d’une assemblée des femmes dotées des mêmes prérogatives que celles des hommes. Elle comporte aussi une dimension économique et politique », a-t-il fait savoir.
Né le 29 décembre 1923 à Thieytou et mort le 7 février 1986, l’égyptologue Cheikh Anta Diop a réhabilité l’histoire du continent noir qui faisait face à une politique européenne de dénégation de l’existence d’une histoire de l’homme noir.
« Il a corrigé les insuffisances de la tradition orale en implantant un laboratoire. Il a travaillé à la réécriture de l’histoire générale de l’Afrique avec les spécialistes africaines, la jonction entre l’historique et la politique. Son œuvre est cohérente. Les fondements économiques ont montré que pour se développer, l’Afrique doit exploiter les ressources qui se trouvent sur leur sol », explique Pr Lam.
Avec Sud Quotidien